L'anti "50 Nuances de Grey"
Fraîchement récompensé par le grand prix du jury au festival du film fantastique de Gerardmer, "It Follows" se vantait sur son affiche d'être angoissant, ultra flippant, terrifiant.. Même stratégie markting que pour bon nombre de films d'horreurs ces dernières années, de Paranormal Activity à Annabelle. Alors on pouvait facilement imaginer entrer dans la salle et assister à un nouveau pétard mouillé, rempli de "jump scares" et de clichés, enterrant encore plus profondément un genre en perdition depuis une quinzaine d'années.
Avec tous ces à priori, la surprise fut encore plus belle. Car dès la première scène, "It Follows" déploie ses qualités et nous scotche à notre siège. Plan séquence de 3min, photographie superbe, ambiance feutrée et surtout une BO sublime et oppressante (oui, le synthé n'est pas mort).
Alors à partir de là, ça raconte quoi "It Follows". On suit Jay, une adolescente sûrement proche des 20 ans, qui vient d'avoir un nouveau petit ami. Après avoir fait l'amour avec lui pour la première fois, celui ci le kidnappe et lui révèle qu'il est porteur d'une malédiction et qu'il vient de la refiler à Jay à travers l'acte sexuel. Elle se retrouve alors poursuivie par une entité mystérieuse. Jay et ses amis doivent alors trouver une échappatoire à cette menace qui la rattrape.
Même si le film n'évite pas un ou deux "jump scares" ou quelques (petites) facilités, la peur est ici permanente, car la menace peut surgir de n'importe où et n'importe quand. La mise en scène appuie fortement sur cette suggestion avec de longs et lents travellings sur les personnages et plusieurs hors-champs. La musique, omniprésente, renforce cette impression. "It Follows" casse la barrière entre le rêve et le cauchemar sans jamais faire dans la surenchère, et renoue avec les grands classiques du genre.
Mais il va bien au delà de son simple statut de film d'horreur. Car le plus terrifiant est le portrait dépeint par l'auteur d'une adolescence hantée par la culpabilité et l'insouciance. La menace, qui se transmet comme une maladie sexuellement transmissible, est la métaphore parfaite de cette ignorance. "It Follows" dénonce les peurs d'une génération que l'on a pas éduqué à avoir des rapports sains avec l'autre sexe. L'homme ne voit la femme qu'à travers ces désirs, et inversement.
L'envers d'une génération frustrée, où l'on ne se respecte plus soi même et encore moins les autres. Jay et ses amis ne sont que le reflet d'un monde où les jeunes, délaissés par les parents et la société, sont laissés en proie à tous les clichés dans un monde devenu sexiste.
Le plus jouissif, c'est que "It Follows" est en quelque sorte l'exact opposé ou l'anti-"50 Nuances de Grey", l'incompréhensible phénomène du moment. Ou pas tellement. Car cela prouve bien que nous sommes désormais dans un monde où l'on trouve "normal" qu'un homme ne voit en la femme qu'un objet sexuel, et qu'une femme voit en l'homme un père fouétard qui doit la soumettre comme une esclave.
Oui, tout va bien, nous vivons dans le meilleur des mondes. Allez, bonne saint-valentin.