Etrange film que voilà. It Follows ne ressemble en rien aux films d’horreur qui parviennent actuellement sur nos écrans. Lent et peu bavard, il l’est. Pratiquement dépourvu des jump scares que viennent généralement chercher les adolescents. On ne rigole pas devant le film de David Robert Mitchell. L’expérience n’est pas celle d’un plaisir expiatoire, de tensions qu’il faut dissiper. Le jeune cinéaste aborde le genre comme s’il n’avait pas perdu toute sa noblesse au fil du temps et c’est une bonne chose. On se retrouve de ce fait avec une séquence d’ouverture qui détonne. Une caméra qui reste figé au milieu de la rue, comme un regard qui pénètrerait d’emblée le mal inexplicable qui hante le film. Elle tourne, comme cette fille perdue dans ses pensées et dans sa réalité. Déjà la désincarnation du monde. C’est aussi de cela que traite It Follows. Le monde dans lequel se déroule le second métrage de David Robert Mitchell est éthéré, aussi atemporel que son film. Des marqueurs, comme la présence de téléphones et les maisons abandonnés de Detroit, viennent rappeler que le film ne se voit pas comme une énième plongée dans les années folles du cinéma d’horreur mais enclin à une certaine réalité d’une jeunesse qui réinvente, comme son réalisateur, le danger intérieur. Le reste est planant, dans le doute constant. Que ce soit cette mise en scène statique, qui traîne dans les couloirs d’un lycée comme le Gus Van Sant d’Elephant, ou la lumière élégante, éclairant de façon maligne l’innocence qui se désagrège des personnages.

La séquence du rapport sexuel maudit est la folle illumination du film. La nuit est tombée sur les courbes de la voiture mais la lumière pénètre l’intérieur du bolide, animant les corps d’une sérénité rarement montrée dans le cinéma. La fleur que caresse l’héroïne après cela peut être vu comme le catalyseur d’un dialogue corporel trop évident et surtout trop apaisant. Suivent dans le film d’autres fulgurances, par intermittence irrégulière. Parfois, It Follows illumine et fait sombrer la salle de cinéma dans une terreur inédite, en coordination parfaite avec la musique intelligemment rétro de Disasterpeace. Une scène de panique sur la plage prouve par exemple que Mitchell peut être un faiseur d’images hors pair. Enormément d’informations dans le cadre mais il en contrôle chacun avec un calme perturbant, maîtrisant le moindre de ses gestes, la moindre de ses illuminations. C’est sans doute aussi cela qui fait la limite de ce beau film américain, un quadrillage visuel et narratif trop évident, tel un Kubrick avec son autrement plus novateur Shining. Le cinéaste sait vers quel chemin il va, et sait encore plus quel sens donner à son film. C’est la chronique d’une jeunesse qui s’abandonne elle-même, qui délaisse son corps, comme cette matière que filmait Jonathan Glazer dans Under The Skin l’an passé. Deux films radicalement opposés dans leur manière de percevoir les corps mais ce même refus de l’alarmisme à l’écran. Disparaissent ainsi les codes galvaudés du cinéma moderne qui consistent en un déchaînement (et un charcutage aussi) du montage pour créer le sentiment de terreur. Dans les deux cas, la menace est invisible et, pire encore, elle avance à pas feutrés.

On se retrouve donc avec des hommes nus sur des toits, d’autres immenses et désarticulés, puis des femmes qui avancent ensanglantés, urinant. Drôle de programme, en effet ! Et c’est toute cette incompréhension immédiate du geste, le fait de ne jamais véritablement savoir où l’on est, qui est la preuve de la réussite de It Follows. Plus qu’une expérience sensitive, elle est surtout fantomatique et donc perturbante dans l’instant. Dommage que l’effet ne poursuive pas le spectateur bien après la séance, comme le film de Glazer. David Robert Mitchell n’a pas encore l’assurance du cinéaste-plasticien britannique, et cet capacité à déstructurer le principe du récit par la simple évocation de l’image. Il paraît obligé de rationaliser cette menace, lui trouver une solution qui s’avère assez conventionnelle. Pourtant, le mal n’est pas simplement physique, il est adolescent, donc insaisissable, sur la base de la pulsion et de la répulsion. Etrange film, il est vrai, puissant par touches, déceptif aussi.
Adam_O_Sanchez
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le 17 févr. 2015

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Adam Sanchez

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