Outre la madeleine de Proust que m'a prodigué ce documentaire et dont il convient de se détacher, ce film documentaire m'a saisi par sa qualité de réalisation. On y suit trois femmes âgées (Sam Sook, Niki et Young Hwa) qui vivent depuis longtemps dans le quartier d'Itaewon. Jouxtant la base militaire américaine et intégré à l'arrondissement très cosmopolite de Yongsan, Itaewon est connu pour être un quartier pauvre et malfamé où se retrouvent les étrangers, les fêtards, les travailleurs nocturnes et les habitants pauvres. Hors depuis quelques années le quartier connait une véritable transformation. Ses loyers peu élevé ont, en effet, attiré une population de jeunes et d'artistes qui le "boboïsent". Depuis l'annonce en 2006 de la fermeture de la caserne, un projet de réaménagement du quartier était à l'étude. C'est dans ce contexte qu'a été réalisé le documentaire Itaewon.
En suivant ce trois figures marginales de la société coréenne, le documentaire éclaire une réalité longtemps occulté, le monde de la nuit à Itaewon, mais aussi les raisons qui poussent des femmes à rejoindre ce monde. Pourtant le film ne saurait se contenter de raconter le parcours fort et courageux de ces femmes. Il décrit aussi l'ambiance du quartier aujourd'hui et la stratification de gens et d'époque qui s'y rejoignent. Derrière chaque angle de caméra, on ressent le quartier comme un pépite à conserver dans un pays où le rapport au patrimoine bâti et les choix urbanistiques qui en découlent sont vraiment différents des nôtres. Et on ne peut s'empêcher la comparaison de ces vieux bâtiments bons à être remplacés et de ces pauvres habitants bons à être déplacés.
Car ce qui est le plus séduisant dans ce documentaire, outre son sujet, c'est la manière dont la réalisatrice, Kangyu Ga Ram, le traite. Ses choix de réalisation porte un regard réel et contemplatif sur le quartier d'Itaewon. Comme une ethnographe, elle capte les gestes, les regards, les scènes du quotidien tout en jouant avec son regard de cinéaste. On adore par exemple la séquence où le policier claudique au tempo de la bande un peu country. Ou la scène de rue durant laquelle le vieillard surplombant la rue surveille les passants.
Une petite pépite de documentaire dont on se surprend de découvrir comme le premier long métrage de la réalisatrice. Cette année le FFCP a vraiment mis à l'honneur de très jeunes réalisateurs et réalisatrices avec une qualité et une cohérence qu'on n'aurait pas tant attendu. Chapeau bas !