Bien difficile de noter un tel film ! Il y a d’abord la valeur historique des archives montrées ici. Je suis très loin de connaître assez le cinéma italien pour estimer vraiment cette valeur, mais elle me paraît considérable. On y croise certains des grands classiques du cinéma muet, souvent mentionnés dans les histoires du cinéma italien, et qu’il ne me semble pas évident de voir. Cela dit, on ne les verra pas vraiment ici non plus, puisqu’on n’aura droit qu’à d’assez brefs extraits. Par ailleurs, on ne sait que rarement quel film on est en train de regarder.
Il y a ensuite la valeur proprement esthétique de ces archives. Là, je serais déjà un peu plus réservé. Il y a de belles choses, comme les extraits de l’Inferno de Bertolini et Padovan ou le Cabiria de Pastrone, ou encore comme certaines prestations assez hallucinées de quelques grandes divas du muet, mais quand Fanny Ardant (lisant un texte de... qui ? On ne sait pas, puisqu’ils ne sont pas identifiés durant le film) parle du cinéma muet italien comme un des plus inventifs de l’histoire, je ne trouve pas que cela se voie vraiment dans les extraits présentés. Ce n’est pas l’expressionnisme allemand, par exemple. Il ne m’a pas semblé voir là une créativité formelle débridée : beaucoup de séquences semblaient relativement sages, et on a eu droit à pas mal de films historiques ou d’adaptations théâtrales d’un style qui semblait un peu pompier, tout de même.
Difficile, d’ailleurs, de ne pas se sentir assez d’accord avec... Papini ? Ou bien était-ce encore Pirandello ? En tout cas, cet écrivain qui affirmait que la poésie ne se trouvait pas au cinéma, alors, dans les adaptations de chefs-d’œuvre de la littérature, mais dans la captation de scènes diverses de la vie réelle, susceptibles de nous émouvoir comme autant de visions d’endroits où nous n’irions jamais, mais dont quelques détails, parfois la simple étrangeté d’un nom, avaient suscité notre rêverie (j’adapte largement, ce n’était pas la citation exacte).
En parlant des citations (des deux écrivains mentionnés plus haut, de Gramsci, de Fellini, enfin bref, tout un tas de gens), elles portent sur la spécificité du cinéma, sur son rapport au temps, au corps, au parti qu’il peut, plus que toute autre forme d’art, tirer des scènes de foule, etc. Elles m’ont paru presque toujours intéressantes et pertinentes (en tant que réflexions sur le medium lui-même et sa naissance plus qu’en tant que réflexions spécifiques sur le muet italien), mais là encore totalement décontextualisées. Par ailleurs, le rapport avec l’extrait montré est souvent ténu, ce qui fait qu’une partie de l’attention est prise par la citation, l’autre par les images, et qu’on est souvent en train de faire un grand écart mental assez désagréable.
Il est difficile d’échapper à l’impression que le film aurait beaucoup gagné à être plus humble et nettement plus pédagogique. Une véritable histoire filmée du cinéma muet italien, composée d’extraits remis en contexte et d’entretiens avec des spécialistes du sujet (tout en gardant, je pense, les réflexions d’écrivains et d’intellectuels, mais là encore, en les replaçant dans un contexte culturel plus large) aurait pu être passionnante. Sauf qu’ici, ce n’était pas le projet.
Oui, mais quel était le projet, exactement ? Il ne s’agissait pas non plus de tisser une rêverie hantologique, ou (sur un autre mode) à la Guy Maddin : Italia est bien trop sage et linéaire pour ça. Alors ? Laisser parler les archives par elles-mêmes. On en est loin, avec des extraits découpés en petits bouts...
J’aurais pourtant tant aimé en savoir plus sur Za la Mort, sur les mille et un avatars de Maciste, sur Lyda Borelli, sur une Francesca Bertini qui semblait fascinante par son activité tous azimuts... Dommage, ce sera pour une autre fois.