"Je refuse d'être l'arbitre de la vie d'autrui."

"Ivin A." est une curiosité du cinéma soviétique datant de 1990, juste avant la dissolution de l'Union, questionnant assez ouvertement un certain état d'esprit russe. Le contenu est extrêmement simple : Ivin, un soldat en charge de la surveillance d'un no man's land a laissé s'échapper un détenu. Les tirs de sommation n'ayant pas été suffisants, l'ordre militaire aurait pourtant dû l'obliger à l'abattre. Alors qu'il risque une sévère condamnation devant la court martiale, des soldats de son entourage essaient de comprendre : faiblesse du moment, lâcheté, confusion, endormissement ? Il ne saurait y avoir d'autres raisons pour eux. Mais Ivin affiche toujours le même discours, incompréhensible selon leur vision du monde : "je refuse d'être l'arbitre de la vie d'autrui".


Durant 80 minutes, les deux personnages principaux (Ivin, le condamné, et le lieutenant en charge de son transfert) n'auront de cesse d'essayer de faire comprendre leur point de vue. Pour le colonel, il est impossible d'admettre que le soldat dit la vérité en toute sincérité et sans contrainte aucune. Les enjeux de la confrontation sont limpides : d'un côté l'idéalisme iconoclaste chevillé au corps du soldat, et de l'autre le respect de l'idéologie dominante du lieutenant. L'intrigue semble s'éterniser dans cette impasse quand survient, très soudainement, un sous-texte homosexuel pour le moins inattendu. De l'intérieur de l'habitacle d'un camion, on passe instantanément au rivage d'un cours d'eau et au sable chaud sur lequel les soldats se déshabillent pour ensuite se baigner. La caméra s'attarde très longuement sur les corps nus des hommes, mais aussi sur ceux tout aussi nus de jeunes femmes profitant de la même rivière. Avec, en prime, une courte séquence de masturbation. J'ose à peine imaginer la gêne qu'un tel film a dû susciter en URSS, en 1990.


Beaucoup de séquences oniriques (un peu maladroites, à l'instar du récit global, mais pas inefficaces) jalonnent le film, et des interludes étrangement mélancoliques achèvent d'y conférer une dimension très particulière. Une séquence totalement surréaliste censée représenter la décadence de l'Occident vient d'ailleurs interrompre l'idylle, sur fond de Queen, Death on two legs. "Ivin A." bouillonne ainsi de questionnements moraux, étonnants d'un point de vue occidentalo-contemporain, dans un style tout aussi singulier.


[AB #206]

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le 3 mars 2017

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Morrinson

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