Jérémy Clapin est d’abord un réalisateur de courts-métrages, forme expérimentale par excellence, et cela se voit dans « J’ai perdu mon corps ».
La caméra nous montre trois histoires en parallèle : d’abord, celle d’une main coupée qui déambule dans Paris, à la recherche du corps dont elle a été séparé ; ensuite les aventures du jeune Naoufel, ancien détenteur de la main, au cours des semaines précédant son accident et son amputation, et enfin une galerie décousue de flash-backs de l’enfance de Naoufel, progressant néanmoins par ordre chronologique afin de nous retracer le passé du jeune garçon.
Le film vaut en premier lieu pour les aventures de la main, véritable prodige d’écriture et de réalisation : la main tombe, grimpe, rampe, nage, voyage dans une boite de conserve, affronte des rats, s’envole avec un parapluie, tandis que la caméra ne cesse de réinventer de nouveau points de vue et modes de déplacement. Les perspectives visuelles et sonores sur la ville ouvertes par cette trajectoire sont justes bluffantes.
On retrouve bien l’univers des courts-métrages de Jérémy Clapin (à aller regarder d’urgence), familiers des explorations visuelles et narratives sur le thème du rapport au corps. Par exemple celle de « Skhizein », dans lequel un homme perçoit son corps comme décalé de 91 cm de tous les objets qui l’entourent, ou d’ « Une histoire vertébrale », qui met en scène un homme dont la colonne vertébrale est courbée à 90°. Des œuvres dont l’aspect loufoque et fantastique vient en partie atténuer la mélancolie qui se dégage des personnages, esseulés et marginaux.
Dans « J’ai perdu mon corps », cette mélancolie affleure d’abord par le personnage de Naoufel lui-même, devenu un jeune homme distrait, solitaire, toujours à coté de ses pompes. Les flash-backs sur son enfance fonctionnent en contrepoint des deux histoires principales (celles de sa main et la sienne) : ce sont parfois des souvenirs de ses parents, parfois des impressions sensorielles denses et fugaces, dans lesquelles le petit enfant qu’il a été (alors bien entier) tombe, se rattrape avec ses mains ou laisse délicieusement couler du sable entre ses doigts. Elles renvoient toujours à l’idée d’un bonheur passé et perdu, auquel Naoufel et sa main, plongés dans la violence du monde, tentent de se raccrocher (l’ambiguïté n’est pas toujours levée sur qui de la main ou de Naoufel génère ces souvenirs). Le sentiment de l’imminence d’un drame se répète au cours du film (la mort des parents de Naoufel dans l’enfance, l’accident menant à l’amputation, le saut entre les deux immeubles à la fin). Tout ceci servi par un temps gris et hivernal, et par la musique de Dan Levy, espèce de mélange entre Eric Serra (Le grand bleu) et Radiohead.
La trame principale du film reste un peu terne. Même si elle compte quelques scènes notables, (par exemple celle où Gabrielle et Naoufel discutent par l’interphone), l’aventure de Gabrielle et Naoufel est poussive et les digressions du premier sur le rôle du destin sont assez plates. Globalement, le film souffre de la fracture non résolue entre les aventures de la main et de celle du jeune garçon, qui semblent avancer en parallèle sans que la fin (décevante) ne justifie totalement cette narration éclatée. J’ai eu l’impression que le scénario a été construit par petites touches, à partir de scènes esthétiquement puissantes, manquant finalement d’une cohérence autre que la présence de cette mélancolie confuse qui baigne tout le film.
Camille