Le Crépuscule des gangsters
Je pourrais disserter des heures pour témoigner de mon admiration pour ce film, et vous convaincre que Jackie Brown est le plus beau film de Tarantino, le plus personnel (!?), et le plus touchant des films de gangsters.
Un film tendre, romantique, où les mafieux qui glandent sur la banquette, passent leur temps à matter à la télé des nanas bodybuildées sous stéroïdes, et armées jusqu'aux dents, et à s'offrir des live show maisons avec une big black mama de 50 balais pesant un bon quintal, plutôt qu'à préparer des plans au point.
Oui ils ont pris un méchant coup de vieux.
Rarement De Niro n'aura été aussi au bout du rouleau, et pourtant il n'a jamais été aussi extraordinaire et hilarant. Luis est pour moi, la plus belle composition de mec totalement à côté des clous, un personnage désopilant et miraculeux dans la droite lignée d'un Jeffrey Lebowski, un demi-sourcil toujours levé, et un pétage de câble aussi inattendu que jouissif qui le conduira (malheureusement) à sa perte.
Mais c'est en perdant de leur superbe, en étant assez pathétiques, que les gangsters vieillissants de pulp et de reservoir, deviennent si attachants, si humains, si vrais.
Qu'ouïe-je, le film le plus personnel de Tarantino ? Alors qu'il ne s'agit que d'une adaptation d'un polar du mythique Elmore Leonard ?
Pour moi ce film est l'illustration de l'adaptation parfaite, le mélange idéal entre deux univers, celui de l'auteur et du cinéaste. Tarantino s'est complètement réapproprié la substance du roman de Léonard pour en tirer un film totalement personnel, il a gardé la structure narrative, mais il en a totalement modifié le contexte (il n'est par exemple absolument pas question de blaxxploitation dans le bouquin), pour réaliser ses rêves de gosse.
Il découvrait Pam Grier au sommet de sa carrière dans les 70's, dans des films mythiques comme Foxy Brown, et fantasmait de pouvoir l'avoir rien que pour lui, dans le rôle d'une hôtesse de l'air. Et il réalise son rêve, et Jackie Brown c'est ça, c'est un cinéaste totalement sincère dans sa démarche, carrément modeste (ça change des films qui suivent dans sa carrière), qui réalise ses rêves de gamin avec simplicité, décontraction et plaisir.
Mais c'est aussi une BO absolument phénoménale (pour moi sa meilleure), qui pourrait rendre accro à la musique Soul tout réfractaire.
Comment ne pas être scotché par l'écran, par ce sommet de classe romantique, lors de cette première rencontre littéralement foudroyante entre les personnages de Robert Forster (lui aussi dans son plus beau rôle) et Pam Grier, accompagnés par la chanson "Natural High" de Bloodstone ?
Comment ne pas vibrer dès les premières notes de "Street Life" avec Jackie qui se démène dans sa caisse, ou s'enthousiasmer sur les rythmes endiablés de Roy Ayers lors de la préparation du coup dans le plus grand centre commercial du monde filmé, refilmé sous tous les angles, et tous les points de vue et qui marquent définitivement l'empreinte si personnelle de Tarantino sur son film?
Comment oublier ce générique d'ouverture démentiel en compagnie de Bobby Womack, ces crédits aux couleurs pops, ce tapis mécanique infini, et ces murs multicolores délavés typiques des 70's ? Minnie Ripperton ? Les Delfonics ressuscités pour l'occasion ? Bill Withers ? Et tout ça avec une élégance, une finesse, une subtilité hors du commun.
Ce film est juste un chef d'oeuvre, je pourrais le revoir un million de fois sans me lasser, et dire que je n'ai même pas parlé de la barbiche de Samuel L. Jackson, ou même de Michael Keaton, acteur bien trop rare, qui a bien fait de s'abonner à son personnage de flic incorruptible, Ray Niccolette, puisqu'il reviendra dans le même rôle dans le très bon "Hors d'atteinte" de Soderbergh, ni de Chris Tucker, ni de Michael Bowen, ni de Bridget Fonda, ni d'un milliard d'autres choses qui me fascinent et me poursuivent encore des années après...
