Jane Eyre porte en son sein tous les aspects du classicisme hollywoodien, dans tous les sens du terme, positifs et négatifs. Dans le duo Orson Welles / Joan Fontaine, c'est très clairement le premier qui occupe le haut du podium avec son charisme déjà incroyable pour l'une de ses premières apparitions en tant qu'acteur, deux ans seulement après Citizen Kane. C'est très académique, très frontal, mais ça n'en reste pas moins efficace : la rencontre entre les deux personnages tandis qu'il galope à cheval dans les environs brumeux du manoir est mémorable, un summum de gothique dont la dimension théâtrale ne gêne en rien. Sa voix grave et forte, sa carrure imposante : tout abonde dans le sens d'un personnage massif et impressionnant. À côté de ça il y a toute la description scolaire de l'enfance triste de la protagoniste éponyme dans un pensionnat extrêmement rigide, ainsi que celle de la découverte de l'immense demeure avec ses recoins et ses mystères. C'est relativement bien fait, aucun doute là-dessus, mais disons qu'on est plein dans le schéma normé du cinéma américain des années 1940.
En réalité ce qui fait défaut au film, c'est un petit grain de folie, dans le portrait de Jane Eyre autant que de la passion amoureuse : bordel, on parle quand même d'un gars qui devait se marier avec une femme et qui la laisse tomber pour une autre qu'il aime à la folie, et d'un mariage annulé in extremis car monsieur est déjà engagé auprès d'une femme folle et violente, c'est pas rien ! Mais non, tout cela est raconté de manière très plate, très froide, très conventionnelle. Difficile de rendre passionnante, ou disons palpitante, l'énigme qui se cache derrière les portes condamnées au fin fond du manoir...
Après, l'ambiance à la lisière du fantastique est particulièrement réussie au travers de ses décors gothiques et de l'intonation très shakespearienne de Welles. Il y a aussi quelques détails amusants, comme la présence de Elizabeth Taylor dans un tout petit rôle qui marque les esprits, du haut de ses 11 ans. Robert Stevenson, pour peu qu'il puisse être crédité et lui seul à la réalisation (tonton Orson a clairement dû fourrer son nez un peu partout), n'hésite pas à verser dans certains excès, parfois presque involontairement drôles — le coup de l'arbre frappé par la foudre lorsque Jane se réfugie dans les bras de Edward Rochester, un grand moment. C'est assez dommage au final qu'un tel sentiment de bâclage entache toute la fin du film, avec tout le tissu narratif qui se déroule bien trop rapidement. Le coup de Rochester qui se marie / se sépare / retrouvailles en étant aveugle / ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants encapsulé en 5 minutes, c'est vraiment de quoi laisser un sentiment de gâchis envahir l'espace.
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