Joséphine Bacon, « Survivante d’un récit / Qu’on ne raconte pas »

Décidément, venant rompre la barrière de nos confinements successifs, les grands vents du nord-nord-ouest ont pris soin de nous apporter quelques jolis flocons cinématographiques, afin de laver notre regard des miasmes et virus porteurs de mort et de nous donner de vivifiantes nouvelles d’un lointain peuple cousin, les Innus qui vivent au nord de la Belle Province. Après l’intéressant « Kuessipan » (2020) de Myriam Verreault, survient ce documentaire centré sur la poétesse Joséphine Bacon, grande figure de la poésie innue. La jeune réalisatrice Kim O’Bomsawin, qui en est pourtant déjà à sa septième réalisation, construit ainsi une œuvre de plus en plus reconnue et saluée.


Secondée à l’image par Hugo Gendron et Michel Valiquette, à la prise de son par Lynne Trépanier, elle pose un regard attentif et bienveillant sur la grande dame, si petite de taille et fragilisée dans son corps. Une fragilité qui reflète une existence au seuil de la disparition, à l’instar de l’ensemble de la culture innue, après plusieurs décennies d’assimilation. C’est pour lutter contre cette chute dans l’oubli et l’effacement d’une culture, de gestes ancestraux, de tout un lexique spécifique, que Joséphine Bacon, venue tardivement à l’écriture et poussée à cette création par son amie Laure Moralie, s’est jetée à corps perdu dans les mots et a converti en phrases simples et limpides tout ce que son regard clair pouvait encore recueillir et contempler.


Lorsque la réalisatrice n’accompagne pas la poétesse à une émission de radio, dans une rencontre culturelle avec son public, dans les rues de Montréal à la recherche de ses premiers souvenirs et d’une géographie urbaine plus virginale, ou sur les terres encore sauvages qui ont porté ses ancêtres, quelques plans sur les sols et les eaux innues apportent leur pierre à cette entreprise de sauvetage et de préservation, venant à leur tour témoigner d’une beauté bouleversante et d’une amplitude, d’une ouverture qui ne peuvent que subjuguer. La musique d’Alain Auger, pure, cristalline, infiniment discrète, ponctue à merveille ces vues d’un monde premier.


Ne serait-ce que pour ce rappel d’une beauté septentrionale, pour les yeux pâles et rieurs de Joséphine Bacon, pour sa voix aussi rocailleuse et claire que les ruisseaux de son enfance, on sait gré à Kim O’Bomsawin d’avoir à son tour sauvegardé ces images et de les avoir arrachées à l’oubli qui guette toute chose.

AnneSchneider
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le 21 mars 2021

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