Plongeons directement au cœur de ce qui a suscité des réactions mitigées parmi mes compatriotes : la représentation de la Belgique dans Mon nom est Loh Kiwan. Il est indéniable que l’image de la Belgique présentée à l’écran peut dérouter ceux qui connaissent bien notre pays. Les rues de Bruxelles, les paysages, et les lieux familiers semblent presque méconnaissables, rappelant davantage l'Europe de l'Est que la Belgique authentique que nous aimons. Et pour cause, le film a été tourné en Hongrie. Ce choix, bien que compréhensible pour des raisons de production, laisse un goût d'inachevé pour le spectateur belge, qui se retrouve quelque peu déphasé, exclu même, de cette histoire qui pourtant se déroule en Belgique.
On y perd une partie de ce qui fait notre identité : le charme unique de notre bilinguisme néerlandais-français, les décors pittoresques et typiquement belges, cette authenticité qui fait notre quotidien. L’accent, la langue, les lieux, tout cela s’évapore au profit d’un cadre qui, bien qu’esthétiquement soigné, manque cruellement de notre essence. On en vient à se dire qu’une version doublée en français ne changerait finalement pas grand-chose tant le film s’éloigne de notre réalité.
Cependant, il est important de considérer ce film sous un autre angle, celui d’un spectateur non européen ou même d’un Européen non belge. Pour eux, ces détails qui nous chiffonnent ne revêtent pas la même importance. Ce qu’ils voient, c’est une histoire qui se déroule dans un lieu sombre, une facette méconnue de l’Europe qui existe bel et bien, y compris en Belgique. Chaque pays a ses zones d’ombre, ses quartiers déshérités, et la Belgique n’échappe pas à cette réalité. Il est peut-être ainsi que Mon nom est Loh Kiwan doit être regardé, avec un œil qui accepte l’universalité de ces lieux, au-delà des frontières nationales.
Cela dit, je me dois de saluer l'effort du réalisateur qui, malgré le cadre hongrois, a su glisser quelques clins d’œil à la Belgique, comme pour ancrer l’histoire dans notre culture et notre quotidien. Que ce soit à travers certains éléments de décor, des références subtiles ou des détails qui résonnent particulièrement pour un public belge, ces petites touches viennent rappeler que, même si l’on ne reconnaît pas toujours les lieux, l’âme belge n’est jamais complètement absente de l’écran. Ces références, bien que discrètes, sont une preuve de la volonté du réalisateur de respecter l’esprit du lieu, et elles apportent une couche supplémentaire de profondeur pour ceux qui connaissent et aiment la Belgique.
Mais il serait injuste de réduire ce film à ce seul aspect, car Mon nom est Loh Kiwan a bien d’autres qualités qui méritent d’être mises en lumière. La réalisation est remarquable, offrant une mise en scène soignée et une direction artistique qui capte l’atmosphère oppressante et mélancolique de l'exil et de la recherche d’identité. L'ambiance générale, soutenue par une bande-son poignante et des jeux de lumière subtilement dosés, enveloppe le spectateur dans une expérience immersive, où chaque plan semble soigneusement pensé pour servir l’émotion du moment.
Les performances des acteurs sont également à saluer. Le personnage principal, Loh Kiwan, est incarné avec une justesse touchante. À travers son regard, nous sommes invités à voir ce monde étranger et parfois hostile, avec les yeux d’un migrant en quête de refuge et de compréhension. Cette perspective nous fait oublier, ne serait-ce qu’un instant, nos attentes sur l’authenticité géographique, pour nous plonger dans une histoire humaine, universelle et profondément émouvante.
Ainsi, en passant outre les défauts liés à l'authenticité de la Belgique, je choisis de voir ce film à travers les yeux de Loh Kiwan. C’est un voyage qui transcende les frontières et les décors, pour se concentrer sur l’essentiel : l’histoire d’un homme confronté à la solitude, à l’inconnu, et à l’espoir fragile d’un avenir meilleur. C’est en cela que réside la véritable force de ce film, qui malgré ses imperfections, parvient à toucher l’âme et à nous rappeler la puissance du cinéma pour raconter des histoires qui résonnent bien au-delà des lieux où elles se déroulent.