J'y suis allé un peu sur la pointe des pieds, n'ayant jamais été très fan du travail de Walter Salles. Mais là je dois avouer que tout m'a conquis, que la proximité qu'a pu avoir le cinéaste avec la famille Paiva durant son adolescence se ressent. En effet elle l'amène à respecter ceux qui furent ses hôtes, à ne jamais en faire trop, à laisser beaucoup de choses hors-champ, à couper les scènes lorsque celles-ci pourraient tomber dans un pathos excessif. J'en veux pour preuve cette scène de plage, où la mère va rejoindre sa fille, montée de telle sorte qu'on ne verra pas ce qu'on peut deviner être le paroxysme de la tristesse et de l'émotion.
Cette émotion Salles va la chercher ailleurs, par un plan sur une maison qu'on quitte ou sur le visage d'une femme incroyable de dignité et de courage, magnifiquement interprétée par Fernanda Torres, qui a perdu la mémoire mais qu'un simple mot à la télévision réveille quelques secondes. Je ne suis pas prêt d'oublier ce qui se passe à cet instant précis dans un regard.
Et c'est d'ailleurs de ça qu'il est question dans la réussite de cette entreprise, de regard, de distance avec un sujet, tellement lourd. La mise en scène n'a rien d'exceptionnelle, mais il y a autre chose, par exemple ce choix du 35 mm et du Super 8 qui déclenche instantanément une forme de nostalgie chez le spectateur, le régime esthétique d'image qui bascule de la lumière du soleil à l'ombre de la dictature symbolisée par l'intrusion du mal qui assassine instantanément innocence et King Crimson.
Une petite remarque pour finir : même si ça me perturbe à chaque fois j'ai depuis longtemps intégré le fait qu'une bonne partie des spectateurs se lève systématiquement dès la première ligne du générique de fin. Mais là comment est-ce possible d'être indifférent au fait qu'en quelque sorte le film se prolonge au milieu des crédits ? Comment être insensible à ces images d'archives déchirantes et à ces plans d'une maison vide qui résument en quelques secondes les 135 minutes qui ont précédé, les plaies béantes d'un pays ? Je dois être trop sensible, vivre trop intensément l'expérience cinéma, mais je ne comprends pas comment on peut s'extirper si facilement d'une émotion présumée, comment la vie "normale" peut reprendre ses droits sans même avoir besoin de reprendre son souffle. Je sais, ça fait beaucoup de "reprendre" et surtout de "comment" mais ces situations m'ont toujours interpellé et m'interpelleront toujours.