Il y a bien longtemps que je n'avais pas vu de film brésilien. Les cinéphiles se souviennent du cinéma novo, courant prolixe des années 50/60 avec Glauber Rocha notamment.
Avec Je suis toujours là, le réalisateur Walter Salles nous propose, pendant plus de 2 heures, de suivre une chronique familiale réelle , embarquée dans la sanglante dictature militaire (1961-1985).
La scène d'ouverture donne le ton. Eunice Paiva ( prodigieuse Fernanda Torres) nage délicieusement dans l'océan, au couchant, tandis que tournoient les hélicoptères militaires. Le temps de traverser la rue et on se retrouve dans leur chaleureuse maison où les enfants jouent au foot, se disputent, les amis trinquent, pendant que Zézé prépare le dîner. On sent que ces images de bonheur simple ne vont pas durer. Un jour, des pneus crissent, des hommes brutaux déboulent et embarquent le père, Ruben Paiva ( Mello Selton, jovial mais secret) ex député travailliste vers une destination inconnue, sans explications, plongeant la famille dans la stupéfaction et la peur. D'autres hommes viendront embarquer Eunice et sa fille aînée. Elle fera l'expérience tragique d' interrogatoires serrés , de menaces, et d'une cellule froide d'où elle peut entendre les hurlements de ceux et celles qu'on torture et qui implorent la pitié. Glacial ! Loin de la plage de Copacabana.
En sortant, sans nouvelles de son mari, elle prendra la conduite de la famille en main, vendra du terrain , louera la maison, partira à Sao Paulo et tentera d'élever les 5 enfants, seule, sans pouvoir répondre à leur question lanscinante : où est papa ? Elle-même n' abandonnera jamais l'espoir d'avoir une réponse.
Dans la vraie vie, Eunice Paiva reprendra des études de droit et deviendra avocate à 48 ans. Elle sera une ardente défenseur des Sans terres contre les propriétaires tout puissants et finira aussi par faire juger ceux qui ont torturé et exécuté son mari. Son corps ne sera jamais retrouvé, comme des centaines d'autres, et les militaires, même condamnés, ne seront finalement pas inquiétés.
Cette période reste une plaie ouverte dans cet immense pays malgré le retour de la démocratie. Il faut croire que nombreux s'y intéressent encore puisque le film y a été vu par plus de 3 millions et demi de spectateurs. Il a obtenu le Prix du scénario à la dernière Mostra de Venise et l'actrice Fernanda Torres, digne et forte dans la tempête, un Golden Globe récemment, très mérité.
Malgré le tragique des situations, Walter Salles réussit presque une ode à la vie face à la barbarie. À l'image de la remarque d' Eunice lorsque un magazine viendra prendre toute la famille en photo, elle leur dit: "souriez!"
Pour des vétérans comme moi, l'évocation de ces années 70 font remonter des émotions fortes: l'Espagne de Franco, la révolution des œillets au Portugal, la mort d'Allende en 73, les dictatures d'Amérique latine, Argentine, Uruguay, la Grèce des colonels etc Des périodes d'engagement militant aussi avec bien sûr leur lot d'erreurs, d'illusions, de dogmatisme mais toujours animées par un esprit de résistance et la défense des valeurs d'humanisme, toujours présente 40 ans plus tard.
Alors vive le cinémâââ, oui, qui peut aussi être un magnifique vecteur de mémoire.