4ème des cinq westerns qui réunissent Anthony Mann et James Stewart, The Far Country joue une nouvelle carte en termes d’occupation de l’espace. Alors qu’on envisage généralement deux cas de figure chez Mann, l’occupation d’un lieu dévoyé (La porte du diable, L’homme de la plaine, Du sang dans le désert, L’homme de l’Ouest) ou un trajet autour d’un convoi ou d’une poursuite (Winchester 73, Les Affameurs, L’appât), cet opus se situe au mitan des deux tendances : le héros et son acolyte (formidable Walter Brennan, un des rares personnages foncièrement positif, déjà aussi attachant dans La Rivière rouge et Rio Bravo de Hawks) rêve de s’établir dans un ranch sur lequel il pourraient fixer le grelot pour le moment rivé à la selle du cheval de Jeff (Stewart), mais finissent dans un véritable souricière. Lieu d’exploitation minière de l’or, qui leur permet d’acheter un passage de la frontière, ils sont avant tout rançonnés par un représentant corrompu de la loi qui achète et monnaie des espaces de plus en plus vastes, tandis que le seul point de passage envisageable pour ceux qui pensent avoir fait fortune est un territoire dans lequel ils sont à la merci des brigands.
Violent regard sur la colonisation des territoires, ou les villes poussent au gré de la fièvre de l’or, et les fortunes se font en dépouillant les mineurs par la prostitution et l’alcool, The Far Country s’acharne à briser les rêves. La femme elle-même, capitaliste convaincue, contribue à la bonne décadence du monde, à l’image de la propriétaire vénale de L’homme qui n’a pas d’étoile de Vidor.
Bien entendu, la question centrale est celle de l’établissement de la loi : dans les contrées sauvages, l’or est le premier ferment d’une civilisation, et les concessions s’écrivent d’abord dans le sang. Mais là aussi, l’ambivalence est de mise. Jeff Webster est avant tout un individualiste, et ne voit aucun intérêt porter l’étoile pour la communauté, de la même manière qu’il préfère le charme vénéneux de la femme propriétaire sournoise à celui, juvénile, de la jeune fille au bonnet qui le soigne à plusieurs reprises.
Certes, la morale du dénouement permettra au récit d’en sortir presque indemne. Mais comme toujours chez Mann, cette résolution est un peu trop rapide pour qu’on y souscrive totalement, et la majeure partie du récit, violent et désabusé, l’emporte largement dans sa vision du monde sur la concorde finale proposée.
Les naïfs sont morts, exécutés par les plus roublards, et la clochette, censée orner un porche d’un paradis terrestre, devient un leurre pour tromper l’ennemi avant le massacre final. Ceux qui restent n’ont pas véritablement d’idéal à transmettre, ils se sont surtout endurcis sous l’adversité. Telle est la véritable morale des westerns de Mann : la violence n’y est pas que le mal nécessaire pour (r)établir la loi, elle est constitutive des rapports entre les individus.
(7.5/10)