Morgan (Trevor Howard), ex-pilote de la RAF, s’acoquine avec des trafiquants du marché noir qui transportent cigarettes et bas nylons dans des cercueils. Mais lorsqu’il découvre que le chef de la bande, le brutal et vicieux Narcy, trafique également de la drogue, Morgan fait part de sa désapprobation. Trahi par la bande, il est arrêté et écope de 15 ans de prison pour le meurtre d’un policier qu’il n’a pas commis. Et lorsqu’il s’évade, il se retrouve poursuivi à la fois par la police et ses anciens complices…
Cette curiosité anglaise signée du cosmopolite Alberto Cavalcanti (1897-1982) ne manque pas d’intérêt, surtout grâce à la composition de Trevor Howard qui campe un personnage de faux coupable dur et désabusé assez peu sympathique mais très crédible, une sorte de double cynique du brave héros hitchcockien des 39 Marches (1935) auquel le scénario de Je suis un fugitif fait souvent penser. L’humour typiquement british qui imprègne le film tempère un peu la noirceur du script, une noirceur magistralement transcrite par la photographie en noir et blanc hyper-expressionniste du chef-opérateur Otto Heller. Comme dans beaucoup de séries B de l’époque, l’histoire est assez chaotique et rassemble en un peu plus d’une heure et demie tous les passages obligés du genre. Une scène est particulièrement réussie et originale: après son évasion, Morgan fait irruption dans une demeure bourgeoise à la recherche d’habits propres et d’un peu de nourriture. Loin de s’effaroucher, la maîtresse de maison accueille le fugitif avec une bienveillance pour le moins intéressée puisqu’elle lui demande en contrepartie de tuer son mari, un ivrogne indifférent à ce qui se passe sous son propre toit… Mis à part ces touches d’humour qui préfigurent les fameuses comédies noires de la Ealing (Tueurs de dames (1949), Arsenic et vieilles dentelles (1955), le film est d’une rare brutalité pour l’époque: les scènes où Narcy (Griffith Jones, qui ferait presque passer Richard Widmark pour un enfant de choeur) tabasse ou fait torturer des jeunes femmes ne laissent pas indifférent, même aujourd’hui où l’on est habitué au pire. Tourné presque entièrement en studio, tout le film baigne par ailleurs dans une ambiance plus proche de Dickens que du polar hollywoodien, à l’instar de la première scène où les faux croque-morts coiffés de haut-de-forme déchargent un cercueil bourré de cigarettes d’une calèche tout droit sortie d’un mélodrame victorien.