Qu'on se le dise, la Belgique a de solides films en son sein pour revendiquer sa place de pays attrayant pour les cinéphiles (et je ne dis pas ça car je suis belge !). C'est un peu par hasard que j'ai déniché cette petite oeuvre assez peu connue et dont je n'en attendais pas grand chose, si ce n'est l'instinct qui me disait de l'obtenir. "Je te survivrai", c'est typiquement du belge tout craché : de la prose un peu beauf sur les bords (mais beaucoup moindre que l'insupportable Dikkenek), du second degré en veux tu en voilà et des personnages caricaturaux au possible. D'office que ça allait me plaire en tant qu'éternel sarcastique que je suis. Joe est le cliché de l'entrepreneur crapuleux, odieux et arrogant dont le seul objectif est de dégager la petite vieille habitant devant chez lui dans son cabanon puant style Calcutta pour se faire un parcours de golf. Malgré toutes ses tentatives, Carabosse comme il l'appelle, refuse de dégager et il trouvera malin de descendre dans le puit pour dégommer la canalisation afin qu'elle n'ait plus accès à l'eau courante. Déjà qu'elle n'avait pas d'électricité ni de chauffage, il faut en plus qu'on la prive du bien le plus précieux de cette Terre.
Problème qui se pose, l'échelle se casse quand il veut remonter. Certains diront que c'est le karma et voilà notre bon vieux patron qui se prend pour Dieu le père coincé 10 mètres sous terre à son grand bonheur. Mais comme il est persuadé qu'il va manquer à toute la société et que tout le monde l'aime, il ne se fait pas de souci et attend sagement, sauf que bah les choses ne se passeront pas comme il l'avait espéré. Les gens s'en foutent un peu, en premier lieu ses employés qui ont autant de conviction que la casse-couille de chez Proximus qui vous réveille un samedi matin à 9h pour vous proposer de souscrire à un nouvel abonnement génial. Ils attendent le retour de leur bourreau fouteur de gueule et lui en fait de même. Les amis ? Bof il ne semble pas en avoir, quoique ça serait jubilatoire d'avoir un Joe dans son cercle tant il est extraordinaire bien malgré lui. Sa fille ? Mouais, les rapports ne sont pas des plus forts.
La seule personne qui se souciera de lui sera Carabosse qui compte bien profiter de la situation pathétique de son voisin peu scrupuleux. Pour une fois qu'elle se retrouve en situation de supériorité, la malotrue ne va pas se gêner. Ainsi pour notre Joe commence une sorte de quête interne entre les pommes de Carabosse, l'absence de douche et l'odeur d'excréments. Imbu de sa personne, il refuse toute aide mais ne tient pas à prendre les choses en main. Il est amusant de voir comment un entrepreneur qui a su gravir autant les échelons au gré d'un travail acharné soit à un tel niveau de résignation pour ne faire preuve d'aucune initiative de sortie. Avec un marteau et des bouts de bois, il y avait matière à tenter quelque chose mais ce singe préfère attendre qu'on l'aide. Tout le contraire d'un entrepreneur digne de ce nom.
Mais au-delà, il commencera à entretenir une liaison (purement verbale je précise) avec Carabosse. Il apprendra à connaître cette petite vieille beaucoup plus intelligente qu'elle n'en a l'air. De cette répulsion qu'il éprouvait à son égard, il prendra conscience que son attitude n'était pas une solution de réussite sociale. Car il n'y a pas que l'aspect professionnel qui compte. "Je te survivrai", porte-étendard de leçons de morale à gerber ? Peut-être bien mais le tout est rattrapé par l'inimitable style belge avec son humour corrosif et un duo d'acteurs excellent qui fait que tout le film repose sur eux. On n'oubliera pas le fameux Kevin, véritable idiot de Immo-V avec son accent infâme et sa technique de drague qui ferait relativiser les plus mauvais tchatcheurs.
"Je te survivrai" est un film con-con pas exempt de défauts (caméra approximative, facilités scénaristiques) mais dont la sympathie en fait un long-métrage super attachant, à condition d'accepter la belgitude.