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Maître du méta et scénariste émérite, Charlie Kaufman s'impose depuis quelques années aussi comme un cinéaste passionnant allant toujours plus loin dans l'élaboration de ses concepts mais aussi dans la déconstruction de ceux que l'on inculque. Même si il se montre souvent d'une ironie pouvant être mordante, son cinéma reste régit par le souffle du désespoir et ce I'm Thinking of Ending Things ne fait pas exception étant lui-même une adaptation d'un roman particulièrement sombre.


Dépeignant de prime abord ce qui semble être le délitement d'un couple à la manière d'un thriller psychologique dans un délire brillamment lynchien, Kaufman tisse en réalité un labyrinthe mental où se cache une thématique beaucoup plus effroyable et profonde, celle d'une société qui nous enferme dans des valeurs institutionnelles et de pensées qui conditionnent à se complaire dans son malheur. Que ce soit dans cette première vision du couple, sans amour, et pris au piège par le cadre familial, confronté à la mièvrerie hollywoodienne de la parfaite comédie romantique et musicale qui vend un amour passionnel et des messages aussi évasives et erronés que le concept de l'âme sœur, Kaufman vient à méchamment frapper sur l'industrie qui l'emploi mais pour laquelle il refuse d'œuvrer. Dénonçant l'instrumentalisation d'un bonheur factice et vendu comme une vérité absolue à travers le regard d'un vieil homme usé par la vie, le cinéaste prend le contrepied habituel en disant avec beaucoup de douleurs que, non, le bonheur n'est pas pour tout le monde et qu'il n'est, comme beaucoup de ce qui est régit par les valeurs sociétales, réservé qu'aux privilégiés.


Esclave des codes de beauté, de succès ou de rang social, le bonheur au même titre que l'amour n'est pas exclusif à tous et Kaufman s'intéresse à un personnage dénué de tout cela et qui se met à rêver sa vie alors qu'il contemple la possibilité d'en finir avec celle-ci. Abordant le suicide avec une rare et douloureuse lucidité parlant d'une vie gâchée par les rêves et les attentes d'une société dont il est exclu, I'm Thinking of Ending Things évoque la possibilité d'une existence qui n'en vaut pas la peine en prenant la forme d'une conversation mentale où la clé est de savoir si oui ou non il faut en finir. Il use habilement de la forme du thriller pour lié cette vision du couple biaisé à la crise existentielle de son protagoniste montrant au final les limites de l'attente et du fantasme alors qu'il confronte sans détour l'aspect les plus toxiques de son personnage. Personnage qui rêve d'attention et d'importance jusqu'à en devenir maladif, voulant être conforté dans l'idée qu'il est quelqu'un de bien s'approchant dangereusement de la mentalité d'un incel. L'idée d'ailleurs de prendre un personnage féminin, qui plus est anonyme, pour en faire l'élément central prisonnier de cette mentalité complaisante et frustrée en devient d'autant plus parlant surtout lorsqu'elle se mêle à la représentation d'une relation toxique et vouée à l'échec.


Il est d'ailleurs pas anodin que Kaufman décide de filmer en 4:3 pour asseoir l'enfermement de son personnage dans sa propre mentalité mais aussi celui du personnage féminin, prisonnière des fantasmes et attentes de Jake. La forme en devient d'autant plus évocatrice et bascule dans une délicieuse étrangeté où Kaufman démontre l'étendue de sa maîtrise grâce à une mise en scène ingénieuse et techniquement irréprochable. La photographie y est sublime et il use des genres avec une rare habilité passant du thriller pesant avec une mise en scène posée et anxiogène ou des moments plus légers et énergiques lorsqu'il bascule dans le musical lors d'une séquence finale impressionnante de savoir-faire. Le travail sur la composition est impeccable et Kaufman s'est suffisamment ne pas se montrer invasif pour laisser ses acteurs respirer, notamment Jessie Buckley qui est ici incroyable soutenue par un Jesse Plemons inquiétant et Toni Collette et David Thewlis tout deux jubilatoires. Car I'm Thinking of Ending Things possède aussi quelques traits d'humour noir plutôt bien sentis.


Mais il faut aussi reconnaître que Kaufman possède parfois un peu trop de liberté, la formule Netflix oblige, alors qu'il gagnerait ici à être un peu plus resserré. Son film est un peu trop long et surtout trop verbeux notamment lors de la première séquence en voiture, une longue séquence de dialogues en champ/contre-champ qui ne se contente que de décalquer le roman de Iain Reid. De plus, il faut reconnaitre que I'm Thinking of Ending Things est d'une noirceur et d'une opacité pouvant être parfois repoussante. Pourtant on ne peut qu'être admiratif devant la proposition radicale de Charlie Kaufman, qui signe une œuvre dépressive et déprimante en contre-courant totale avec la pensée hollywoodienne qu'il égratigne avec un ludisme jubilatoire.


I'm Thinking of Ending Things est un film qui fait mal car c'est un film qui va en contradiction totale avec les concepts inculqués par la société qui nous pousse à avancer selon la promesse de jours meilleurs. Ici le cinéaste annonce que ces jours meilleurs ne viendront pas car il ne sont pas destinés à tous, un constat lucide et douloureux. Déconstruisant la dangerosité de ces attentes irréalisables, qui peuvent facilement broyées une vie, il montre les limites d'une société qui se base sur la reconnaissance comme forme de succès à travers le parcours mental de quelqu'un qui en recherche éperdument, prisonnier des valeurs et clichés qu'on lui a inculqué devenant lui-même le bourreau de son propre esprit. I'm Thinking of Ending Things en devient alors une œuvre paradoxale et vertigineuse par sa complexité où, malgré ses excès de zèles, Kaufman ne se laisse jamais broyé par la dualité de sa tâche parvenant à s'imposer comme un récit terriblement humain et déchirant tout en sachant avoir conscience de la limite de sa propre pensée. Magistral.

Frédéric_Perrinot
10

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2020, l'aube d'une nouvelle décennie cinématographique et Top 2020

Créée

le 20 sept. 2020

Critique lue 824 fois

10 j'aime

Flaw 70

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