Depuis que Jean-Christophe (Ewan McGregor) a quitté la Forêt des Rêves Bleus, Winnie l’Ourson se sent seul. Seul, il l’est d’ailleurs littéralement le jour où il se réveille et ne trouve plus aucun de ses amis. Il décide alors d’aller faire appel à Jean-Christophe, en sortant dans le monde réel. Mais le jeune garçon joueur est devenu un adulte, employé de bureau débordé par son travail, qui n’a plus le loisir de laisser fonctionner son imagination. Winnie se découvre alors une importante mission : réapprendre à Jean-Christophe à rêver…
S’il est une chose pénible, dans la politique des studios Disney des années 2010, c’est bien leur manie d’adapter tous leurs classiques d’animation en remakes de qualité très inégale. Et s’il est une chose à laquelle on ne s’attendait pas du tout, c’est que les producteurs fassent passer Winnie l’Ourson à la moulinette. Même si Jean-Christophe et Winnie n’est pas un remake à proprement parler, mais plutôt une lointaine suite aux classiques de notre enfance, il est en tous cas incroyablement fidèle à l’ambiance des romans de Milne, dans la lignée desquels il se situe.
Bien que le scénario rappelle particulièrement le Hook de Spielberg, la présence de Marc Forster à la réalisation convoque évidemment la parenté avec son Neverland, dont la magie et la poésie se retrouvent ici intégralement.
Jean-Christophe et Winnie a même un élément que Neverland n’avait pas, et qui rend donc le film Disney éminemment supérieur : le personnage de Winnie. Parfaite incarnation de la naïveté, de la générosité, de la bonté et de l’honnêteté à l’état pur, Winnie l’Ourson figure sans nul doute parmi les personnages les plus modestes que la littérature du XXe siècle nous ait offert. Mais il figure également parmi les plus grands.
Il est cet ami doux et compréhensif que l’on voudrait tous avoir ; il est celui qui nous rappelle que, loin d’être un vilain défaut, la naïveté est une des plus belles qualités qui soient, il est cet ingrédient magique qui s’adapte à tous, personnages comme spectateurs, pour faire ressentir à chacun ce qui lui manque et ce qu’il doit faire pour se corriger et devenir meilleur.
Pour mettre en scène les aventures de ce personnage hors du commun, Marc Forster apparaît donc comme un choix logique : de Neverland, il n’a rien perdu. C’est donc avec un plaisir de tous les instants que le spectateur retrouvera ce parfum d’insouciance, de légèreté, de bonheur à l’état pur qui se dégageait du film avec Johnny Depp, et qui se dégage de chaque image de celui avec Ewan McGregor.
Grâce à la magnifique photographie de Matthias Kœnigswieser et à des effets spéciaux hallucinants de réalisme, Forster réussit avec brio à mettre en images un récit plus dur qu’il n’y paraît. Car en effet, si l’insouciance est de la partie, l’histoire est bel et bien dramatique au départ. L’évolution du personnage de Jean-Christophe en est le témoin : le pensionnat, la guerre, la fabrique de bagages… Autant d’étapes qui font écho à une vie devenue cruelle, qui n’épargne pas les hommes, et ne laisse plus la moindre place au rêve et à l’imagination.
Dans ce monde gris et éteint, Winnie et son ballon rouge deviennent un phare pour les hommes égarés. Rarement la forme n’aura été en adéquation aussi totale avec le propos du film, tant la symbolique de chaque plan, les montages parallèles, les jeux sur les couleurs (la grisaille d’un monde terne, mais qui ne devient jamais déprimante grâce à Winnie) ont toujours leur raison d’être, créant une mise en scène discrète mais efficace.
D’une simplicité que n’égale que son inventivité prodigieuse, tant dans l’humour (hilarante scène de la gare) que dans la poésie et l’émotion (les relations père/mère/fille, très bien écrites), Jean-Christophe et Winnie peut compter sur la qualité d’écriture de ses personnages, ainsi que la justesse de ses acteurs, mais aussi et surtout sur la qualité de ses dialogues pour toucher droit au cœur les spectateurs prêts à renouer avec leur âme d’enfant.
C’est ce qui fait qu’on ferme les yeux sur quelques menus défauts, au rang desquels Mark Gatiss qui n’a toujours pas appris à jouer depuis Sherlock, quelques répliques où perce une guimauve sentimentale heureusement peu présente, ou une vision du monde par trop simpliste, pour goûter un spectacle total, plein de drôlerie et d’émotion, d’une modestie qui lui fait honneur, et qui se montre un splendide héritier de l’immense Mary Poppins, encore plus digne que ce que la suite - pourtant réussie - de ce dernier ne peut prétendre.