Si Versailles était dompté
En ces temps complexes où l’urgence souvent bien violente de l’actualité vient s’immiscer dans des œuvres supposément intemporelles, il faut faire abstraction de bien des éléments pour tenter...
le 17 mai 2023
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En ces temps complexes où l’urgence souvent bien violente de l’actualité vient s’immiscer dans des œuvres supposément intemporelles, il faut faire abstraction de bien des éléments pour tenter d’appréhender sereinement le nouveau film de Maïwenn. Il ne s’agit pas seulement de séparer les individus des artistes, puisque l’œuvre elle-même (souvenez vous du naufrage ADN) peut s’avérer un rempart à l’affrontement d’une nouvelle proposition…
Avec Jeanne du Barry, la cinéaste a le mérite de s’essayer à un changement plutôt radical : le film en costume l’incite à modifier sa direction d’acteurs au profit d’un texte plus figé, les plans sont plus larges et le rythme moins saccadé que sur ses précédents films. On voit bien, dès le prologue, le désir de rivaliser avec l’indépassable Barry Lyndon, notamment dans l’emploi du 35mm et le recours à une voix off volontiers affectée et littéraire, à ceci près que Maïwenn y substitue le sarcasme par une tonalité plus proche du conte, en adéquation avec le regard que pose sa protagoniste sur le monde qu’elle va découvrir.
C’est cette approche, en léger décalage, qui sera la plus intéressante, quand bien même elle peut s’avérer bancale. L’appréhension du monde par Jeanne oscille entre l’euphorie d’une petite fille (jusqu’aux glissades dans la galerie des glaces) et le rire amusé de celle à qui on ne va pas la faire. Soit, précisément celui que Maïwenn entreprend d’avoir sur son récit, midinette et lucide à la fois.
La midinette ne nous épargnera aucun des attendus de la grande romance entre la fille des rues et le monarque, à renfort de musique pompière, de larmes et de regards pénétrants. Elle cède aussi à la tentation de faire de sa protagoniste une héroïne irréprochable, forçant à plusieurs reprises le spectateur à admirer sa sagacité, son indépendance, sa culture et son altruisme pour les enfants des autres, jusqu’à ces scènes assez incongrues nous expliquant, probablement avec quelques siècles d’avance, que les noirs sont des êtres humains.
La lucide va faire braquer sur Versailles le regard d’une femme du peuple : à travers un miroir sans tain ou une longue vue, Jeanne voit se déployer un protocole ridicule dont elle s’amuse, entrainant à sa suite le Roi, voire le premier valet de chambre (savoureux Benjamin Lavernhe), et déchainant chez les filles de son amant une comédie où le grotesque des accoutrements le dispute aux simagrées des sarcasmes.
Ce n’est certes pas une victoire très glorieuse, mais on ne cesse de se dire que ça aurait pu être tellement pire. Maïwenn s’est clairement posé des barrières, et fait du sujet la finalité première. L’ego trip n’est certes jamais bien loin, et on devine les fantasmes d’autoportrait de la cinéaste en femme libre, partie de rien (« Les filles de rien ne sont-elles pas prêtes à tout ? ») pour arriver au sommet en laissant une profonde influence dans son sillage avant la disgrâce faisant d’elle une héroïne sublime.
Alors que vient de sortir une nouvelle version des Trois mousquetaires, ce retour à un film en costumes, avec la volonté de se confronter à une forme de classicisme a quelque chose de touchant, et la réalisatrice a le mérite de ne pas (trop) vouloir y injecter les réécritures contemporaines, qui bien souvent vieillissent plus vite que l’époque revisitée. Et quand on constate que les scories de son film sont plutôt issues d’une excès de sincérité que d’une pose cynique, on veut bien appliquer la leçon un peu scolaire de tolérance que son récit nous dispense.
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le 17 mai 2023
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