Bien sûr il y a eu, pour ne citer que les plus célèbres tueurs en série homosexuels, John Gacy et Jeffrey Dahmer, et Ottis Toole aussi se traînant dans l’ombre poisseuse et sanglante d’Henry Lee Lucas. Il y a eu Dean Corll également, moins connu, moins médiatisé et moins passé à la postérité que les autres, et pourtant tout aussi dérangé, sadique et «productif» qu’eux. Au début des années 70 dans l’État du Texas (celui, brûlant et crapoteux, de Massacre à la tronçonneuse), Corll a violé, torturé et tué plus d’une vingtaine de jeunes garçons avec l’aide de deux adolescents, David Brooks et Wayne Henley. L’auteur controversé Dennis Cooper, en 1994, a livré une reconstitution théâtrale, étrange et fantasmée, des crimes de Corll ainsi que sa mise à mort par Henley.
Dans cette reconstitution censée se dérouler en prison où il purge une peine à perpétuité, Brooks, utilisant des marionnettes et interprétant plusieurs personnages à la fois (Corll, Henley, lui-même et quelques victimes), relate et «rejoue» ces crimes puis cette mise à mort. C’est Gisèle Vienne qui, en 2008, met en scène Jerk pour la première fois avec Jonathan Capdevielle dans le rôle de Brooks. La pièce offre une relecture schizophrénique et glaçante des dérives meurtrières de Corll, et de ses relations troubles avec Brooks et Henley, en circonscrivant celles-ci à la psychologie de Brooks où la violence des faits, insoutenable, passe par un tumulte mental, par la dureté des mots et des sons (de sons corporels en particulier que restitue Capdevielle : pénétrations compulsives, baisers humides, râles de douleur, effusions de fluides divers…).
Plus de quinze ans après, Vienne et Capdevielle ont décidé de se replonger dans les ténèbres insondables de Jerk, cette fois sous la forme d’un film. Le dispositif scénique, dépouillé à l’extrême, est le même (Capdevielle seul sur scène, déroutant et habité jusqu’à une sorte de frénésie ventriloque, des marionnettes inquiétantes, des atrocités dites sans filtres…), l’intérêt ici résidant dans cette caméra qui approche, caresse et scrute Capdevielle (ce qu’il n’était pas possible de faire au théâtre, où s’opère forcément une distance), Vienne captant au plus près, et en un seul plan-séquence, émotions et abîmes, crachats et bave, regards hallucinés et monstruosité au travail. Pour celles et ceux connaissant la pièce, cet intérêt sera (peut-être) moindre parce que sa force de déflagration les aura déjà ébranlés, et son horreur souillés. L’expérience, dans tous les cas, n’en reste pas moins saisissante et singulière.
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