Le système de notes de sens critique peut parfois rebuter, par son aspect froid et scolaire ; c'est pourquoi on trouve bien souvent sur les profils de ses membres des descriptions détaillées de ce que signifient les barèmes, portant en eux un passif, des comparaisons filmiques, une émotion de l'instant T ou tout simplement la volonté de mettre en avant tel ou tel aspect (parfois purement esthétique ou au contraire focalisé sur le verbe, le message). Il y a autant de façon de noter que d'envisager ce site, et nous avons chacun notre vision personnelle.
Jessica Forever pose un problème comme on en rencontre peu. Je pourrais me contenter d'écrire "sortir des carcans et expérimenter, oui. La branlette intellectuelle sous couvert d'un renouveau que seuls les plus sensibles et ouverts comprendront : non".
Et c'est précisément ce que j’ai intérieurement exprimé tout au long de ces 97mn : non, non, non, non, non, non (et ce, même pendant le générique de fin).
Ce qui pousse à la réflexion : pourquoi ce rejet radical ? Pourquoi ces poils qui se hérissent ?
Et pour cette raison, la critique est nécessaire. Car la note ne reflète qu'une affirmation : je n'ai pas aimé. Mais c'est beaucoup plus. Aimer ne suffit pas pour mesurer l'impact d'un film, dans un sens positif et négatif.
Je sais maintenant ce que je n'espère plus jamais voir au cinéma. Et pourquoi cet exercice douloureux sonne presque maintenant comme une victoire : je l'ai fait.
Le lendemain du visionnage, ce n'est pas tant le dégoût que la frustration qui subsiste. L’histoire était prometteuse, la photographie n’est pas horrible. Les acteurs semblent mal jouer mais c’est une diction, une occupation de l’espace qui se rapprochent presque du théâtre (et en ce sens, Jessica Forever est hybride. Complètement. Sur tous ses aspects. Rarement vu quelque chose qui le soit autant d’ailleurs. Trop ?). J’ai songé aux personnages d’Un violent désir de bonheur (Clément Schneider), à Ava (Léa Lysius) et son phrasé presque surjoué, aux filles des Garçons sauvages (Bernard Mandico) et à l’inconfort qu’avait provoqué en moi sa projection, à Grave (Julia Ducournau), au discret Sophia Antipolis (Virgil Vernier) qui bouscule les codes narratifs, et à tous les autres. Ces films français qui dérangent, que j’ai parfois encensé, parfois détesté, mais qui portent en eux les germes d’une génération audacieuse et pleine d’idées.
Pourquoi Jessica Forever donne-il autant ce sentiment d’inachevé, de raté, de « presque atteint ». Est-ce que c’est l’objectif ? Repousser les limites du cinéma, ouvrir les champs des possibles, tout remettre en cause ? Ou Caroline Poggi et Jonathan Vinel cherchent-ils à nous montrer que les petits intellectuels bobos à la cinéphilie branchouille répondront toujours présents pour défendre les pires daubes ?
Parce que « ho là là c’est tellement avant-gardiste, une esthétique post MSN qui questionne à la fois le monde moderne et nous révèle la face sensible du monde ».
Ce que j’ai ressenti devant ce film : aucune émotion. Un sentiment de vide. Et finalement oui : un peu de colère. Parce que ça aurait pu être incroyable. J’ai essayé, vraiment très fort, de ressentir l’amour de Jessica pour ces orphelins. De me laisser happer. J’ai adhéré sans difficulté à ce monde au futur proche ou à la réalité parallèle, qui détourne notre quotidien.
Mais malgré tout, on a bien l’impression qu’on s’est moqué de nous. Alors oui, il faut faire, ne pas toujours attendre d’avoir les moyens, les matériaux aboutis, et toujours laisser la créativité s’exprimer (ce que revendiquent les réalisateurs en interviews).
Mais prendre son temps, ou tout du moins un peu plus de temps, a aussi parfois du bon…