La poupée maléfique est un archétype horrifique souvent prisé par les auteurs d’histoires fantastiques. Issue de l’imaginaire littéraire, cette représentation inquiétante du « presque humain » se retrouvait dès 1945 dans le film fantastique Au coeur de la nuit (le dernier sketch La Poupée du ventriloque, plus tard adapté à l’occasion d’un épisode de la série The Twilight Zone), puis en 1964, dans le film La Poupée diabolique. Cette fascination pour cet objet, principalement destiné à l’enfance mais dérangeant parce qu’imitant par son aspect le vivant, trouve d’ailleurs un début d’explication dans l’essai de Sigmund Freund L’Inquiétante étrangeté et par extension, dans la nouvelle L’Homme au sable de E.T.A Hoffman (père de la littérature fantastique, au même titre qu’Edgar Poe). Plus tard dans les années 60, le génial auteur Richard Matheson imaginait une histoire de poupée tueuse s’acharnant à traquer une jeune femme dans son appartement dans sa nouvelle Proie (qu’il adapta d’ailleurs pour l’écran dans le segment Amelia du film à sketches Trilogy of terror). En 1978, Richard Attenborough jouait parfaitement du mystère fantastique de la poupée dans son film Magic voyant un ventriloque (Anthony Hopkins, pas encore cannibale) devenir l’esclave de sa maléfique marionnette. En 1987, c’est le génial Stuart Gordon qui développait l’idée du film de poupées tueuses avec Les Poupées. Et en 1989, le réalisateur et scénariste David Schmoeller s’amusa à imaginer une armée de petites figurines tueuses dans son célèbre Puppet Master et ses innombrables suites. Dans les années 90, ce sont Les Contes de la crypte (épisode 12, saison 4 : Allez vous faire pendre), Dean Koontz (son roman Tic Tac) et Stephen King via un épisode d’X-Files (épisode 10, saison 5 : La Poupée) qui reprirent à leur compte le concept de poupée possédée.
Cependant, tous ces exemples semblent avoir été occultés par le succès d’un autre poupon, parfait représentant de son espèce au sein même du cinéma d’horreur. Car encore aujourd’hui, à qui pense-t-on lorsqu’on nous parle de poupée tueuse ? Quel est le premier nom qui nous vient à l’esprit ? Il s’agit de Chucky bien sûr, la poupée maléfique habitée par l’âme d’un tueur en série et qui, dès sa première apparition sur les écrans en 1988, marqua tellement les esprits qu’elle rejoignit immédiatement les rangs des icones horrifiques du slasher made in 80’s. Ce fut le scénariste et réalisateur Don Mancini qui s’inspira du film La Poupée diabolique de Lindsay Shonteff (dans lequel il était déjà question de transfert d’âme dans une poupée) ainsi que d’une légende urbaine (celle de la poupée « vivante » de la famille Otto au début du XXème siècle) pour imaginer le concept de Child’s Play et en tirer un script (remanié ensuite par John Lafia, futur réalisateur du second opus) jouant quelque peu avec les codes du slasher traditionnel. Le scénario acheté par le studio United Artists, la réalisation du film fut finalement confiée à Tom Holland (le réalisateur oublié, pas le Spiderman sponsorisé Disney), lequel venait de cartonner au box-office avec son non moins cultissime Fright Night (Vampire, vous avez dit vampire ? en vf). Conquis par le scénario de Mancini, Holland vit là l’occasion de s’emparer d’un autre motif de l’horreur classique (après le vampire aristocrate, la poupée possédée) afin de l’adapter à son époque et lui en offrir une vision plus moderne et horrifique.
Une nuit d’hiver à Chicago, un policier poursuit le tueur en série Charles Lee Ray jusque dans un magasin de jouets pour enfants et l’abat. Avant de mourir, le psychopathe a le temps de formuler une incantation afin que son âme trouve refuge dans le seul objet qu’il ait sous la main : une poupée pour enfants. Quelques semaines passent. A l’approche de son anniversaire le jeune Andy Barclay, un petit garçon de 6 ans, espère bien que sa mère Karen lui offrira la fameuse poupée Good Guy à la mode et dont tous les spots de pub parlent. Mais officiant comme vendeuse dans une galerie marchande, Karen n’a pas suffisamment d’argent pour offrir à son fils la poupée de ses rêves. Elle finit néanmoins par en acheter une au rabais à un clochard qui revend tout un lot d’objets trouvés dans les ruelles sinistres d’un Chicago hivernal. Découvrant avec bonheur son cadeau, Andy ne quitte dès lors plus son nouvel ami Chucky et passe son temps à transporter la poupée avec lui et à lui parler comme à un vieux pote de récré. Mais lorsque Maggie, l’amie de Karen, est assassinée un soir alors qu’elle gardait Andy, et que toutes les preuves semblent accabler l’enfant, Karen doit bientôt se résigner à envisager que son petit garçon souffre d’un grave problème de psychopathie précoce. A moins que ce dernier dise vrai et que l’auteur du meurtre soit en fait sa poupée Chucky.
Ambiance urbaine sordide, enquête policière s’enfonçant dans l’absurde et désespoir d’une mère cherchant à tout prix à croire les propos délirants de son jeune enfant. Après un prologue explicatif aussi sinistre que fantastique, l’intrigue nous décrit le quotidien d’une jeune veuve/mère courage élevant seule son jeune garçon dans une ville où le danger semble rôder à tous les coins de rue. Bien sûr, le spectateur est le premier au courant de la réincarnation du tueur dans le corps de la poupée et le cinéaste s’amuse longtemps à jouer de l’immobilisme feint de sa figurine, usant pour cela d’arrière-plans et de vues à la première personne en mode rase-bitume (vive la steadicam !), pour garder le plus longtemps possible en réserve l’apparence véritablement démoniaque de sa poupée. Une apparence qui nous éclate aux yeux dès la séquence où, se retrouvant seule avec la poupée, Karen se retrouve à la menacer de la jeter au feu si celle-ci ne parle pas. L’animation soudaine du faciès haineux de Chucky et la voix rageuse de Dourif suffit alors à produire son effet, masquant au passage les limites des SFX de l’époque quand il s’agissait de filmer le petit monstre de plein pied. Dès lors, la mère d'Andy fera tout son possible pour innocenter son enfant, même si cela la pousse à errer dans les bas-fonds sinistres d’une ville livrée à la misère et à la criminalité. Ne s’embarrassant pas de détours inutiles, le scénario cédera néanmoins à quelques facilités quand il s’agira de convaincre le détective Mike Norris (Chris Sarandon) de la culpabilité de Chucky, ce dernier ne perdant pas de temps à essayer de le zigouiller au détour d’une scène de poursuite en voiture semi-parodique censée accélérer l’intrigue. Celle-ci s’achemine ensuite rapidement vers l’inévitable triple climax alors à la mode, où il s’agit de tuer, de (re)tuer et de (re)re-tuer le monstre du film qui révèle alors une fâcheuse tendance à l’increvabilité.
Il est intéressant de revoir Jeu d’enfant aujourd’hui pour sa description de la déliquescence urbaine d’une ville américaine. Ressemblant beaucoup au New York ultra-glauque de Maniac Cop, le Chicago de la fin des années 80 nous est montré dans toute sa sinistrose, le réalisateur se plaisant à faire évoluer ses protagonistes dans des bas-quartiers hantés par les silhouettes inquiétantes de sans-abris et de petits truands. Il faut voir cette séquence où, guidé par Chucky, le petit Andy traverse seul la ville, les gens restant indifférents au fait qu’un gamin aussi petit se déplace seul dans le métro et le ghetto, une poupée dans les bras. La seconde partie du film voyant le jeune Andy être pris pour un fou, interné et pourchassé par un croque-mitaine, se retrouvera quasiment telle quelle recyclée dans le film Candyman de Bernard Rose, sorti deux ans plus tard (et se déroulant aussi dans les ghettos de Chicago), et dans lequel la protagoniste sera elle aussi suspectée et internée dans un asile de fou avant d’être « libérée » de sa prison psychiatrique par la créature qui la traque. En outre, Jeu d’enfant avait surtout pour lui de sortir en pleine mode des slashers, s’appropriant habilement les codes du genre tout en les tournant quelque peu en dérision par le biais de la petite taille de son tueur. Pour autant, le film ne verse jamais vraiment dans la parodie mais joue pleinement de son concept horrifique, porté par la mise en scène inventive de Tom Holland (les plans-séquence en vue subjective font leur petit effet), les effets spéciaux de Kevin Yagher et la voix terrifiante de Brad Dourif (qui joue d’ailleurs l’alter-ego humain de Chucky au début du film). Qui plus est, de même que John Carpenter l’avait fait pour son Halloween, Holland ne cède ici que très peu à la facilité du gore gratuit et préfère de loin construire une atmosphère et privilégier le suspense.
Bien sûr, le film a vieilli et n’est pas sans défauts. Mais il reste toujours aussi efficace plus de trente ans après sa sortie. Il offrit au cinéma fantastique une de ses icônes les plus reconnaissables, tout en lui donnant le prétexte narratif suffisant pour une tripotée de suites (six depuis 1988, un remake édulcoré et une série en préparation). Pas de quoi hurler de peur certes, ni de crier au génie cinématographique, d’autant plus que les suites céderont de plus en plus à la parodie et que Chucky aura depuis, tout comme le Frankenstein de la Universal en son temps, trouvé fiancée et rejeton. Mais ce petit « brave gars » semble plus increvable que n’importe quel autre tueur de slasher et il y a fort à parier qu’il n’a certainement pas fini de hanter les écrans.