Jeune et folie
Le titre passe-partout et générationnel du premier film de Léonor Serraille a le mérite de la clarté : Jeune femme est un portrait davantage qu’un récit, un état des lieux plus que la construction...
le 7 juil. 2018
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Le titre passe-partout et générationnel du premier film de Léonor Serraille a le mérite de la clarté : Jeune femme est un portrait davantage qu’un récit, un état des lieux plus que la construction d’une dynamique scénaristique conventionnelle. Et pour cause : le film est entièrement indexé sur la nature complexe et profondément instable de son personnage, Paula, assez magistralement interprété par Laetitia Dosch.
Revenue dans la capitale où elle n’est pas la bienvenue, la jeune femme s’impose violemment dès la première séquence, frontale, dans laquelle on la voit en plein délire verbal ou se mêlent désespoir et colère suite à sa rupture amoureuse. Paula n’a nulle part où aller, et va se retrouver face au défi assez insurmontable de se vendre alors qu’elle inspire plutôt la crainte ou le rejet.
Autour de ce noyau bouillonnant et qui se dérobe aux cases que recherche le système social, Paula va donc se parer de différents atours. Femme-gigogne, être-patchwork, elle va enfoncer les portes, souvent fermées, et abattre sa carte majeure, celle de l’adaptabilité, sans que son naturel fantasque ou rebelle ne puisse jamais être totalement contenu.
En découle un film profondément féminin, où Paula devient le centre d’attraction d’une galerie de personnages qui, à sa rencontre, se révèlent autant qu’ils la mettent à l’épreuve. L’occasion d’un regard souvent juste, drôle pertinent sur un parcours qui refuse toujours les ornières de la convention. Paula varie les looks, mythonne sa vie et tente, parfois maladroitement, de correspondre à ce qu’on pourrait attendre d’elle, au point de se faire passer pour une autre. Babysitter ou amie d’enfance, hôtesse d’accueil chez Habitat ou squatteuse, Paula promène sa grande gueule qui agace autant qu’elle revigore ceux qui la croisent. On pourrait un peu la considérer comme la Victoria de Justine Triet une dizaine d’années avant.
Entre tendresse et causticité, Léonor Serraille ne lâche jamais son personnage, et saisit l’occasion de ses rencontres pour une satire souvent féroce et drôle d’un monde qui croit tourner rond : l’entretien d’embauche, par exemple, résume à lui seul cette volonté de tout normer, et particulièrement la personnalité, ainsi qu’un emploi se résumant à écouter des directives incessantes dans une oreillette. Dans ce cadre, la place est toujours laissée à l’émergence d’une individualité : celle du personnage principal, bien entendu, mais par ricochets, à ses interlocuteurs : un agent de sécurité, une enfant, une mère célibataire, une lesbienne branchée.
Qu’importe donc si les développements (retour de l’ex, question inévitable de la grossesse) viennent un peu encombrer la dernière partie ; alors qu’elle se révoltait contre une formule toute faite proposée par un médecin lors du prologue (« vous êtes une femme libre »), toute sa trajectoire aura été la vérification pétillante et parfois abrasive de cette affirmation.
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le 7 juil. 2018
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