C'est le film d'un détachement, le film d'un apprentissage et surtout le film de l'affirmation, bien que difficile et timide, d'un être à part entière. Isabelle a beau être jeune et jolie, elle est aussi fragile et vaguement provocatrice. Pourtant, c'est sans désir, ni même dévergondage qu'elle se lance dans la prostitution, avec un sourire qui en dit long... Un sourire, non pas de satisfaction mais de mélancolie, celui d'une clarté qui lui fait posséder son corps tout autant qu'en faire prendre possession. Qu'elle soit face à la brusquerie de certains clients où à la douceur (presque) perverse de Georges, le client plus "exceptionnel". L'amour, elle ne le connait que très furtivement, elle le vit comme une jeune fille de 17 ans et elle le perd aussi dès que survient, chaque fois l'acte sexuel où le plaisir s'invite sans que cela ne soit clairement signifié au départ.
Ce n'est pas ici le portrait d'une adolescente lambda qui découvre la transgression mais plutôt la naissance au monde d'une jeune femme. Une jeune femme que Marine Vacth illumine d'une présence inoubliable. Ce n'est pas tant sur sa beauté que s'arrête la caméra mais sur cette présence entêtante voire captivante, ce faible sourire, qui en font un souvenir fort. C'est un personnage à la fois fantomatique et extrêmement réel mais surtout c'est une incarnation par l'actrice à la fois agaçante et extrêmement touchante voire bouleversante.
Et Ozon dans tout ça ? Il est à l'image du petit frère qui observe avec ses jumelles, qui arpente le chemin du désir et de la découverte, qu'on protège mais qui entend tout... Il veut envahir tout l'espace, percer les secrets, montrer mais avec un regard encore "pudique" dans le sens où aucune image de sexe, jamais, n'est explicitement sale dans ce film. Les scènes sont là mais toujours coupées au moment opportun, jamais totalement voyeuses, jamais totalement pures. Il n'y a alors aucune vulgarité. Et dès lors, si Ozon tout comme le petit frère veulent saisir Isabelle, c'est dans son intégralité, sa personnalité entière et sa construction présente et à venir qu'elle échappe. Il y a cette part latente de mystère qui fascine, qui ne s'accorde à aucune saisons, qui accepte l'ironie (en chansons ou en succession de plans en parfait décalage). Isabelle est comme le passage d'une saison à une autre: brusque et douce à la fois. Changeante, mouvante mais aussi cyclique et en variation constante, avec toujours dans le visage quelque chose de connu, d'apprivoisable tout autant que de variable... Une symphonie où la morale est absente, où tout échappe aux explications, ou personne ne comprend vraiment tout en voulant juger, sauf peut-être le réalisateur, qui laisse le temps à Isabelle de grandir, de chercher et même de comprendre...D'aller au bout d'elle-même, sans n'avoir encore rien vu de la vie que d'autres seront prêt à lui livrer (peut-être même sous les traits de Charlotte Rampling).