C’est l’histoire d’un loup, d’une machine entrainée à tuer et à ne pas avoir de sentiments. Kazuki vit en meute, arme à la main, sous une armure qui suinte la mort, les yeux rougis par une violence indolore. Entouré, mais inscrit dans la pénombre, c’est par la luminosité d’un regard juvénile et les éclats d’une bombe qu’il va s’égarer dans les soubresauts d’une vaine et pessimiste quête d’existence. Jin Roh, sous couvert d’un univers d’après-guerre réaliste et dystopique, se réapproprie le conte du petit chaperon rouge par le prisme de la fatalité d’un couple impossible. Qui est le chasseur? Qui est la proie? Et une bête peut trouver le bonheur dans l'apparence d'un être humain? Jin-Roh a lieu dans un autre de Tokyo, qui est criblé de troubles civils pour protester contre le gouvernement. Un groupe d’activistes dont les attentats force l'armée à créer une unité de police spéciale pour les éliminer. Alors, quand un lieutenant (Kazuki) de cette unité spéciale se fige dans la ligne de devoir, il est envoyé vers les terrains d'entraînement et met en péril l'existence de son unité.
Bercé d’une couleur terne, d’un rythme sous perfusion, mené d’une main de maitre par un montage exemplaire, qui ramifie la mélancolie d’une époque totalitaire où les hommes se dévisagent derrière des masques et des discours pour mieux dessiner les contours d’une idéologie sécuritaire d’un côté ou terroriste de l’autre, le long métrage d’Hiroyuki Okiura se révèle flamboyant de sécheresse torturée. Le réalisateur délaisse petit à petit les grands espaces narratifs de ce contexte sous tension où l’on se sert autant des armes que de l’innocence des enfants, pour resserrer son récit sur l’éventualité d’un écueil morbide, d’un épouvantail traumatique autour d’un homme, qui, à force de se camoufler, ne sait plus de quelle espèce il est : l’homme ou le loup.
Dans ce japon fait de répression armée (la Posem avec son imagerie nazie, dont fait partie Kazuki), où le mot d’ordre est l’intérêt général et le calme fabriquée par une paix factice, Jin Roh calfeutre ses émotions dans les non-dits et dans les faux semblants malgré sa complexité scénaristique ; et de cette animation majestueuse aussi fragile que figée, où le fantastique se dilue dans un réalisme aussi sec que dévorant, nait alors une œuvre hybride qui incorpore sa torpeur entre drame romantique et film de contre-espionnage. Alors que la métaphore au conte de Charles Perrault peut parfois paraitre insistante dans sa grammaire visuelle quant aux hallucinations sanglantes de Kazuki qui se remémore la mort de cette jeune fille sur qui, il n’a pas pu tirer, c’est dans l’évidence de sa finesse, l’éloquence de son mutisme que Jin Roh dévore l’estomac, déploie sa majesté quant aux émotions presque inertes et sans vie de tous ces visages, ces âmes en peine, qui se battent pour une cause perdue, ou pour un but qui les dépasse.
Par l’interstice d’une virée en enfer dans l’ombre d’un tunnel souterrain ou par les rêveries d’ailleurs sur un toit isolé, Hiroyuki Okiura instaure une histoire d’amour par le petit bout de la lorgnette, dans une innocence presque intemporelle qui dénote avec le pragmatisme déshumanisant de tous les protagonistes qui cohabitent dans une société dissoute qui n’est autre qu’un ensemble de groupes, de meutes, de brigades invisibles, qui essayent d’avoir le pouvoir sur les autres. De cette œuvre, il n’est pas étonnant de voir qu’elle est scénarisée par le réalisateur de Ghost in the shell tant la froideur et l’existentialisme exiguë paraissent similaires entre les deux œuvres, tant le regard sur la mort et le destin suit le même tambour, dans ce mimétisme émotionnel qui n’amplifie jamais ses effets aussi émotifs que réflexifs, de cette perspective presque nihiliste qu’ont les humains à ne pas pouvoir survivre les uns avec les autres.