On nous avait déjà fait le coup avec le terrible Lost in la Mancha : nous parler pendant 1h30 d’un film qui n’existe pas et aurait – forcément – été fabuleux est une entreprise aussi vivifiante que frustrante. Et force est de constater que sur ce terrain, Jodorowsky’s Dune remplit haut la main sa mission.
A l’inverse du film de Gilliam qui accumulait les avaries au point d’être annulé, Dune est un film mort-né, dont on nous relate ici toute la pré-production, qui ne trouva finalement pas de financement. A écouter parler Jodo de son bébé, on ne peut qu’en être désolé, tout en accordant des circonstances atténuantes aux studios qui ne pouvaient que légitimement être effrayés par son projet…
La première force du documentaire est de donner à ce point la parole au cinéaste : on a du mal à croire que le jeune chien fou, dont l’œil s’enflamme et le sourire irradie les souvenirs, nous parle du haut de ses 84 ans. L’enthousiasme est intact, le récit captivant, et d’autant plus prégnant qu’il s’appuie sur un travail préparatoire colossal, notamment au travers d’un story-board intégral, agrémenté du travail de graphistes de renom (Moebius, Giger, Foss…autant de noms qu’on retrouvera ensuite au générique d’Alien).
On ne peut qu’être bouche bée par le casting de tout ce qui fait le gratin de l’époque pour participer à ce qui devait être un des plus grands films de l’histoire : Pink Floyd, Magma, Orson Welles, Dali (fantastique anecdote sur la malice des producteurs pour satisfaire son désir d’être l’acteur le mieux payé de l’histoire, en le rétribuant « à la minute utile »), Mick Jagger… Jodo recrute ses warriors, et nous explique comment : un culot, des promesses insensées, et une capacité innée à s’adapter aux délires mégalomanes de ses pairs.
Passé l’électrochoc du refus de financement, le film traite aussi de la résilience artistique, à savoir la façon dont Jodo ré-exploite dans la BD un grand nombre de ses idées, de L’Incal aux Méta-Barons. L’idée selon laquelle le film inexistant aurait essaimé toute une constellation d’influences sur le cinéma à venir (notamment de par la circulation de son storyboard) est on ne peut plus séduisante, peut-être à tempérer néanmoins ; il n’en demeure pas moins que les créateurs convoqués par Jodo feront effectivement la SF d’Hollywood par la suite.
Si l’on s’amuse beaucoup de la jubilation du cinéaste frustré à voir le ratage que fut la version de Lynch, on peut néanmoins se questionner sur ce qu’aurait donné la sienne. Sur le papier, dans son casting, verbalement même, ce documentaire donne à voir un chef-d’œuvre fantasmatique. Mais au vu du vieillissement des délires d’une Montagne Sacrée, par exemple, on peut se demander si ce Dune n’est pas d’autant plus un chef d’œuvre qu’il n’a jamais vu le jour, et ne peut par conséquent pas subir l’injure du temps.