(Critique avec spoilers non-camouflés. Vous êtes prévenus).


De tous les projets d'adaptations DC Comics lancés par Warner Bros., l'un d'eux avait tout d'une très mauvaise blague. Un projet de film sur les origines du Joker, sans Batman, sans connexion avec Worlds of DC et écrit/réalisé par un réalisateur de comédies loin d'avoir fait l'unanimité.
Personne n'était dupe. Warner Bros. cherchant pitoyablement à racheter les faveurs du public après l'échec de son univers partagé (et surtout l'échec de son Joker respectif). Un niveau d'attente tel que même l'inexplicable présence de Martin Scorsese à la production du film ne suffisait pas à faire remonter. Un niveau qui se révélera être inversement proportionnel à la surprise générale qu'à suscité les semaines précédents la sortie. Quelque chose qui mériterai une étude approfondie.


Il faut croire que les conclusions peuvent êtres hâtives et que tout peut arriver, car aussi fumeux peut être ce film, il a le mérite de tenir ses promesses. Pour le meilleur comme pour le pire. Car si les films Worlds of DC ont été fait avec un mépris certain pour le matériel de base, Joker a été fait avec le mépris que se coltine tous les films du medium et va donc tout faire pour ne pas y ressembler, quitte à flirter avec le cliché du film d'auteur perçu par la masse populaire, voire avec le mauvais goût.


L'introduction marque incontestablement une rupture avec tout ce qu'on a pu voir auparavant. On peut dire ce qu'on veut de Todd Phillips, il y a une chose dans laquelle il excelle, c'est dans sa façon d'être frontal dans ce qu'il montre, ce qui a surtout été employé pour le pire dans un genre gagne une toute autre intention dans un autre. Preuve que le préjugé n'a pas lieu d'être quand l'intéressé change complètement de fusil d'épaule, peut-être ne s'est-il pas illustré sur le terrain qui lui permettait le plus de potentiel.
Phillips a beau être assez maladroit pour rater son humour, il ne l'est en tout cas pas suffisamment pour manquer quelque chose d'aussi radicalement noir. Faisant montre de beaucoup d'ingéniosité pour faire descendre son personnage principal dans la folie. Cette maîtrise a beau être très rudimentaire (les intentions derrière ses plans sont trop flagrantes), elle fonctionne.


La scène qui l'illustre le mieux, et la première à scotcher le spectateur, est la scène du métro, celle où Arthur Fleck va faire son premier pas dans la criminalité qui va très progressivement diriger le reste de sa vie, et par la même occasion celle de Gotham City, illustré avec les références appropriés (fictionnelles ou réelles) comme une ville puante qui n'a besoin que d'une impulsion sortie de nulle part pour laisser toute sa négativité exploser.
Comme chacune des scènes fortes qui aiguilleront la suite des événements, la mise-en-scène est volontairement agressive et coupante, jusqu'à créer une véritable subversion. Dommage que la volonté derrière certaines d'entre-elles soient puériles en se dotant d'une ressemblance vulgaire avec les DTV d'animation DC, tantôt habilement utilisé pour un choc nécessaire, tantôt pour le simple plaisir de choquer.


Le film fait preuve de plusieurs idées vraiment brillantes mais une petite virgule bien visible vient toujours empêcher les scènes d'atteindre la perfection que le film aurait pu avoir.
Comme par exemple la bande-originale d'Hildur Guðnadóttir. La musicienne Islandaise récidive une fois de plus avec ses sons pétaradants et monocordes, qui, si ils marquent une véritable rupture avec le genre (par leur prétention), qu'ils sont appropriés pour tendre comme il faut les situations à suspense, ainsi que pour exprimer l'état de santé mentale de l'anti-héros (les moments les plus importants en deviennent insoutenable, point très bénéfique dans ce que le film propose), ils ont en revanche la fâcheuse habitude de vriller les tympans du spectateur dans des scènes de transitions n'en ayant jamais besoin, là où un silence glaçant aurait été approprié.


Mais aussi nombreuses sont les transparences qui viennent rappeler la prétention du projet, la bonne volonté rattrape toujours le coup. Partie intégrante, et même représentation de celle-ci, la prestation démente de Joaquin Phoenix qui porte le film à lui tout seul (voir le film en version originale est nécessaire afin de saisir toutes les subtilités de son jeu). Créant lui-même ses propres mimiques qu'il répète ou varie selon l'évolution de son personnage, comme si il tissait lui-même le déroulé du film alors qu'il subit paradoxalement tous les revers que la vie lui inflige. Arrivant parfaitement à exprimer la confusion de son personnage aux contradictions déroutantes, un homme perturbé dont le rire compulsif (pourtant symbole de joie et de gaieté) arrive toujours à point nommé pour accentuer son malheur, ce dernier ne gardant les pieds sur terre que grâce à des points d'appui que le scénario se chargera à bon escient de faire voler en éclat pour le jeter au fond du trou.


Todd Phillips et Scott Silver ont finement choisit les mots et les actes qui vont provoquer la transformation radicale d'un monsieur tout-le-monde en l'un des meurtriers les plus réputés de la culture populaire, ce personnage fictif qui a pourtant tout d'un être réel, et c'est pour ça que son basculement fait aussi froid dans le dos. Mais surtout, ils le font sans jamais craindre de rapprocher le spectateur de leur personnage. Sa descente créer un enchaînement de situations qui font à la fois ressentir de la joie et de l'horreur dans chacune de ses actions, aussi ignobles ou bien attentionnés soient-ils. Ils ont aussi l'intelligence de marquer sa personnalité et son évolution par différents événements hasardeux qui vont s'imbriquer en un monstrueux manège dans lequel il ne pourra jamais sortir quelques soit la porte qu'il espère prendre pour s'en échapper, cette dernière se ferme aussitôt jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien à part sa dangereuse notoriété parmi les délaissés.


Tous les éléments placés dans toutes ces pérégrinations, les pertes, les gains, les changements, les montés et les descentes sont habilement employés et laissés en suspend jusqu'à culminer dans une scène de confrontation finale génialement écrite sur fond de show-télévisé où, contrastant avec la totalité des événements qui lui sont arrivés, Arthur fraîchement transformé dispose enfin de la possibilité de faire un choix. Choisir entre tout abandonner et mettre fin au mouvement réfractaire qu'il a initié ou alors se servir du pouvoir médiatique à sa disposition pour prendre sa revanche sur la société qui lui a tourné le dos. Une joute verbale où le moindre mot a son importance pour peser dans la balance. La ville devient le principal enjeu et se retrouve à l'image de son personnage principal ne faisant plus qu'un. Une réussite personnelle déroutante à mettre en évidence après les échecs des précédentes interprétations du Joker qui couraient après le même objectif.
Un final inespéré qui rappelle que toutes les persécutions qui lui sont tombés dessus sont les conséquences d'injustices sociales (alors qu'il n'était au commencement du film qu'un simple clown doté d'honnêtes intentions). Comme si l'arrivée du Clown Prince du Crime n'était qu'un inéluctable concours de circonstances, ayant malencontreusement donné vie au démon qui va faire passer Gotham de cloaque nauséabond à un véritable enfer mérité et dirigé par une figure d'antéchrist (quel dommage dans ce cas-là de ne pas avoir suffisamment appuyé l'assassinat des Wayne qui passe ici pour une simple anecdote à l'intention des fans. Utiliser ce meurtre culte pour annoncer l'arrivée d'un potentiel sauveur aurait été approprié, ne serait-ce que pour éviter de donner l'impression que cette fin pessimiste est là seulement pour le kif de jouer à contre-courant avec les adaptations de comicbooks actuels. Le silence du Joker en réponse à la question de la psychiatre était une bonne idée mais insuffisante pour contrebalancer l'horreur de cette descente aux enfers par une symbolique salvatrice).
Après, il est possible que le public interprète mal la subversion de ce Joker avec son absence total de figure positive (pas même Thomas Wayne aussi détestable que les autres) et ne voit derrière l'iconisation christique d'un tueur anarchiste un message nauséabond à prendre au pied de la lettre de la part de producteurs fumistes qui ne mesurent pas l'ampleur de leur message. Le public en sera seul juge.


Toujours est-il que des bonnes (ou des mauvaises) surprises sont toujours possibles quand un artiste sorti de nulle part parvient à apporter l'impulsion nécessaire. Impossible de dire si ce film fera évoluer les choses dans un système de productions codifiés en s'investissant à ce point comme une totale anomalie hors du système. Mais la réponse à ce système aura au moins apporter ça.

Housecoat
8
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le 12 oct. 2019

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Housecoat

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