8 pour Joaquin : fulgurant, époustouflant, effrayant, mirobolant, touchant,
4 pour le film: des maladresses, de la truelle, des incohérences.
Le film ne mérite pas Joaquin.
Il construit un Arthur Fleck fascinant mais le chemin que lui donne le film manque de clarté et de finesse.
Non pas qu'il semble hors de son film mais les péripéties et retournements de situations qui poursuivent Arthur comme une malédiction sont "trop" par rapport au ton réaliste du film.
Au bout du compte, le Joker est ici un personnage réel, dans un monde réel à qui il arrive des choses invraisemblables.
La réalisation est bonne, proche des personnages tout en créant quand il le faut de belles perspectives et des plans intéressants (Todd a fait ses devoirs et les inspirations sont nombreuses et peu subtiles il faut l'admettre) et le casting est bien.
A partir d'ici je vais spoiler, j'en suis navrée, mais impossible d'entrer dans le détail sans déflorer certains secrets.
Donc à vos risques et périls.
Arthur Fleck est un homme d'apparemment 35 à 40 ans qui vit avec sa mère malade et gagne sa vie en se déguisant en clown pour faire de la pub, amuser les enfants etc. Son rêve, être comédien de stand up.
Il est aussi affligé d'un handicap mental qui le fait rire aux moments les plus inopportuns de manière hystérique et incontrôlable. Il se bourre donc de médicaments.
Sa vie est merdique, on est bien d'accord, mais Arthur tente de faire bonne figure et d'être toujours souriant.
C'est une cocote minute qui n'attend que d'exploser et même sans savoir que c'est le Joker, et que donc l'explosion va être nucléaire, c'est une évidence. (surtout si vous avez lu The Killing Joke)
Jamais Gotham n'aura autant ressembler à New York. on se croirait chez le Scorcese des années 70 tant la lumière, les bâtiments, les lieux sont criant de réalité.
Arthur Fleck aussi est réel, trop réel, tellement réel qu'il fait mal.
Joaquin Phoenix trouve ici l'apothéose de sa carrière. Sans en faire des tonnes, et pourtant c'est tellement facile avec le Joker, il glace le sang. De la transformation physique (comment fait-il ça avec son omoplate?) à l'expressivité de ses yeux si particuliers, il incarne la psychose, l'anarchie, la névrose, la folie douce puis furieuse. Il EST tout simplement.
Malheureusement, il n'est pas dans des circonstances qui supporte correctement son personnage.
L'idée est bonne, les idées sont mauvaises.
Faire du Joker un être apparemment doux et inoffensif, presque naïf, le confronter à la dureté du monde, l'affubler d'un handicap mental et très certainement d'une maladie mentale génétique, le confronter au mensonge, à l'indifférence jusqu'au moment où il va péter un plomb et accueillir cet être anormal qui sommeille au fond de lui. Nickel.
Mais rajouter une intrigue avec Thomas Wayne potentiellement son père (si les scénaristes avaient validé cette hypothèse j'étais décidée à sortir de la salle mais dieu merci, il n'en a rien été), puis découvrir la maladie mentale de sa mère (jusque là ça va) et qui l'a adopté et en faire un enfant martyre de son beau-père (je subodore le viol également mais le terme "abuse" est vague) dans l'indifférence la plus totale de sa mère et qu'on le rende à cette femme qui a été incarcérée et internée pour négligence (dans un monde de comics, je prends, dans ce monde ancré dans la réalité, je ne prend pas, sauf avec une bonne raison qui, ici, n'est pas donnée). Pour finir, le moment où il pète les plombs n'est pas amené naturellement. Les hommes qui le tabassent sans raison dans le métro sont sensés faire échos aux gamins du tout début. Comme un miroir. Mais ces hommes ne sont pas des petits délinquants qui frappent pour s'amuser. Certes ce sont de gros lourds mais leur comportement n'est pas raccord. Et de fait, la scène semble forcée pour lui faire péter sa durite et que ce soit des personnes aisées de la ville pour déclencher cette lutte de classe inutile.
Autre souci qui peut sembler anecdotique mais moi m'a turlupiné beaucoup c'est son âge. Ce n'est pas un jeune homme de 20 ans. L'affaire de sa mère remonte à 30 ans et il n'était pas un nourrisson. il a donc entre 35 et 40 ans. Il rencontre Bruce Wayne (pourquoi pas, ce n'était pas nécessaire à mon sens) qui semble en avoir 10. Donc dans 20 ans, il sera Batman et le Joker aurait 60 ans? Je ne suis peut être pas sensée voir si loin mais cela m'a perturbée.
J'ai des problèmes qui sont plus personnels avec le film. Si les méchants m'intéressent souvent plus que les héros, je ne veux ni n'aime ressentir de l'empathie ou de la sympathie pour eux. Ou très rarement. Ou seulement un tout petit peu. Mais je ne veux pas leur donner raison. Dans son égoïsme et son narcissisme qui fait de lui le nombril du monde, Arthur Fleck n'a pas tort. L'indifférence tue.
D'autre part, tout le pan social du film qui fait du Joker une sorte de Che Guevara me chatouille dans le mauvais sens. Ce n'est pas rédhibitoire, c'est très personnel. Mais on sent que c'est un arc forcé pour en arriver à l'image clé : la naissance du Joker en parallèle avec celle de Batman.
Certes ils ont toujours été les faces opposées d'une même pièce. Ce n'est pas pour rien que le Joker est la nemesis principale de Batman. Entre ombre et lumière, rire et colère, névrose et psychose, ils sont le même.
Je n'ai pas aimé non plus qu'on fasse de Thomas Wayne (Brett Cullen, déjà au casting de The Dark Knight Rises dans un autre rôle) un pignouf et un gros salaud. Tout ça pour opposer encore une fois les riches méchants et les pauvres gentils. Thomas Wayne est un philanthrope, gentil, bon, soucieux de sa ville qui part à vaut l'eau. Sa mort devient presque méritée ici au lieu d'en faire l'agneau sacrificiel dans le sang duquel le chevalier noir est forgé (je deviens lyrique tout d'un coup). Je rappelle par ailleurs que Thomas Wayne est lui même Batman dans un monde parallèle où c'est Bruce qui a été tué. Un héros donc. (Voir Flashpoint).
La fin est aussi une apothéose de n'importe quoi avec ces allusions christiques et son élévation au rang de dieu par les masses hurlantes et sans visage.
Certes, le Joker le dit (scène assez géniale sur le plateau de l'émission de télé) il ne fait pas de politique. Cependant, il se nourrie de l'attention qu'on lui porte, ayant réussi son pari de ne plus être invisible. On sent sa jouissance du regard des autres. Phoenix est au top dans un scène trop over the top.
Le film aurait dû s'arrêter quand l'émission de télé est coupée après son meurtre et alors qu'il est en train de parler. Le Joker est né, il est vu, on sait que des manifestations le prenant pour symbole ont lieu, on sait qu'il a atteint son but. Une fin abrupte, anarchique et violente. Voilà de l'impact. Pas cette conversation sans intérêt avec une psy à Arkham.
Dommage, tout était présent pour faire de Joker le meilleur film de l'année, peut être le meilleur film de l'univers DC.
Ou alors, tout se passe dans sa tête pendant son entretien psychiatrique et la réalité extérieure est tout autre. Dans cette optique, soit le film est brillant mais incomplet ou alors on s'est foutu de ma gueule pendant 2 heures et je refuse d'avoir à voir d'autres films pour qu'on m'explique celui là.
NB
Cette discussion est sur toutes les lèvres alors pourquoi pas.....
Qui est le meilleur Joker?
Si Jack Nicholson aura toujours une place particulière dans mon coeur à cause de son adéquation à l'image que je me faisais du Joker dans ma jeunesse, je dois dire que Joaquin remporte mon suffrage. A mi chemin entre l'exubérance de Jack et le néant violent de Ledger (que je n'aime pas particulièrement pour diverses raisons), avec une touche de la légèreté enfantine de Marc Hamill dans la série animé, il condense toute la noirceur, la violence, l'outrance et le côté irrésistible du personnage et lui ajoute une profondeur de champ jamais explorée.