Forcément, le fait d'avoir lu The Killing Jokela veille m'a donné envie de voir le Joker de Todd Phillips. Non pas que le film dont il est question ici est une adaptation, loin de là (à la limite l'une de ses nombreuses inspirations, mais rien de plus), mais j'étais intrigué par la manière d'aborder les origines du mal. Quoique ce film Joker ne soit finalement pas tant un film sur le Joker que ça : Arthur Fleck est un personnage inédit, bien plus âgé que Bruce Wayne dont il est censé être le némésis, et il est conscient de sa maladie, qui nous est, par la même occasion, clairement énoncée. En fait, c'est presque le processus inverse des films Marvel : on est sur un one shot qui s'éloigne le plus possible de l'univers original dont il fait partie, les références à ce même univers original sont forcés et il n'est donc pas du tout obligatoire de connaître Batman pour rentrer dedans. Bref, c'est loin d'être un problème étant donné que plus un film de superhéros s'inscrit dans une saga, que plus il y a de suites, plus il y a de chance pour que ce soit de la merde (coucou Marvel). Et puis c'est le but d'une adaptation de toute façon, si je veux l'histoire originale, je lis les comics.
Bon après ça n'empêche pas ce Joker de Todd Phillips d'être quelque peu discutable, surtout politiquement. Allons-y, c'est le défaut du film qui m'a le plus trigger. Le problème avec Joker, c'est que Todd Phillips ne sait pas sur quel pied danser (quoique… on y reviendra…), on dirait un film politique qu'on aurait tenté de dépolitiser… ou un jeu Ubisoft, c'est au choix.
Le film peut tout aussi bien parler à des gens de gauche comme de droite, on peut lui faire dire n'importe quoi (plus de quatre ans après, je me souviens encore du tweet de Juan Branco bordel !). Ce sont clairement les années Reagan qui sont visées (bien qu'on y retrouve un lien avec la grève des éboueurs de 1975), avec les nombreuses coupes budgétaires, l'invisibilisation des marges, le fait « qu'ils s'en foutent des gens comme vous » (on nous le dit clairement, au cas où nous serions trop cons pour comprendre tout seul)… de l'autre, on a un Joker qu'on n'hésite pas une seule seconde à iconiser, sacraliser même (décidément, Scarface ne nous a rien appris), en plein milieu d'une foule que n'aurait pas renié Fritz Lang tant elle se révèle être bête et violente, tout juste après avoir fait justice lui-même.
Eh oui ! Il y a effectivement une certaine volonté de justifier les actes du Joker, au point où on se demande pourquoi avoir fait un film « Joker » justement, comme si on avait oublié que c'était un petit peu le méchant à la base, que la notion de justice lui était complètement égal. Ici, il tue, oui ! Mais attention ! Il tue des connards hein ! Des types qui l'agressent dans le métro pour commencer (tout juste après avoir commencé à harceler une femme), puis un type qui l'a trahi, et enfin la caricature du présentateur cynique. On remarquera que son collègue nain est épargné, car il n'y a que lui a été « sympa », et que tout porte à croire que sa copine imaginaire (ah tient ! un truc d'incel !) est encore vivante à la fin du récit. On veut nous faire aimer le Joker… pari audacieux qui semble avoir fonctionné chez beaucoup, mais qui n'a surtout aucune pertinence vu le sujet initial. Surtout, qu'à côté de ça, que le réalisateur s'évertue à nous montrer un film nihiliste, dans lequel on ne peut croire en rien ni personne.
Sauf que voilà ! Ultime problème ! Il suffit de s'intéresser à Todd Phillips pour se rendre compte que c'est le genre de personne à parler premier degré de « haine des riches » et à renvoyer les « extrêmes » dos à dos. Bref, de quoi percevoir Joker comme un film « centriste »… ou extrêmement ridicule.
C'est con, parce qu'à côté de ça, Todd Phillips est arrivé à bien jongler entre la frontière du vrai et du faux, à nous faire croire à cette relation fantasmée, aux mensonges d'Arthur Fleck. Même le coup de « Arthur est le fils caché de Thomas Wayne » est plutôt bien amené, avec quelques indices qui laissent penser que ce serait le cas (les initiales TW derrière la photo, le fait que Brett Cullen ait joué le rôle avec cet état d'esprit), sans que le film ne force trop là-dessus pour autant.
Même au niveau des réf', certes, le film est parfois un peu grossier, citant frontalement certaines de ses références et singeant peut-être un peu trop les films du nouvel Hollywood. M'enfin, reste que l'hommage est réussi, au niveau de l'image en tous cas, et que si ça peut donner envie à certains de s'intéresser à Scorsese, pourquoi pas ?
Bon par contre, Joaquin Phoenix qui passe son temps à se regarder jouer (comme dans Her tient), c'est non ! Déso pas déso, mais le coup de « il a perdu du poids pour le rôle » ou « il s'est fait mal au pied en frappant fort », ça fonctionne de moins en moins sur moi.
Bref, c'est le genre de film, on en ressort satisfait sur le coup, et plus on y repense, plus on remarque des choses qui ne vont pas : ç'a été le cas pour moi. Alors oui, ok, Joker se place probablement dans la moyenne haute des films s'insérant dans un univers de superhéros (merci à Marvel de tout niveler vers le bas)… m'enfin ! Bordel ! Ce n'est pas ça qui fait de Joker un bon film pour autant ! Vous voulez sérieusement me faire croire que Todd Phillips est (devenu) un bon réal' ?! Vraiment ? C'est qui le prochain tocard ? Brett Ratner ?
Reste à voir ce que donnera la suite, Folie à deux, censée sortir en cette fin d'année. J'espère avoir tort, mais je fais le pari que ça ne sera pas bon (vous vous en doutiez, non ?). En tous cas, je vois difficilement comment la suite d'un film prévu pour être un one shot, se suffisant à lui-même donc (et jouant beaucoup là-dessus par la même occasion), et qui n'est de toute façon pas tant un film sur le Joker que ça, pourrait le surpasser.