Sans introduction aucune, je plongerai dans ce film soulevant autant de paradoxes cinématographiques qu'émotionnels :
Premièrement, Joker remet en perspective la dualité Batman/Joker = gentil/méchant, justifiant presque la cruauté du Joker et créant une forte empathie à son égard. Le réalisateur parvient à nous rendre attaché à ce personnage enchainant les crimes, justifier ses meurtres, le plaçant en état continuel de légitime défense, comme si la vie avait été tellement dure envers lui que sa cruauté ne serait que justice. Joker est minitieusement travaillé et sa naissance habilement conçue (le bouc émissaire incompris, le rire maladif, l'incompréhension dans l'amour qui veut transmettre, sa résignation et remise en question). A mesure que le film avance et la folie s'installe dans son esprit, il devient paradoxalement plus heureux, libéré voire héroïque, le meneur d'une révolution populiste, un méchant adulé lui qui n'était qu'un gentil garçon humilié... Cependant, j'ai ressenti à quelques reprises le film tomber dans l'apitoiement et le "too much", nous amenant à ressentir un sentiment forcé de compassion en plusieurs occasions, provoquant l'effet inverse: le détail des violences paternelles subies, violence injustifiée des jeunes...
Deuxièmement, Phillips manie à merveille la caméra, nous offrant des scènes paradoxalement cultes et jouissives: sa descente aux enfers dans les escaliers de l'hopital d'Arkham, puis quelques minutes plus tard, la résurrection du personnage et naissance du Joker descendant un autre escalier montrant que son ascension vers la gloire résulte d'une descente aux enfers... Les plans sont adaptés à la situation, nous faisant rentrer dans l'intimité, presque dans la tête du personnage via des plans séquences long et gros plans, installant un climat glacial par de nombreux plans fixes et la folie par des plans successifs et rapides.
Toutefois, je n'en dirai pas autant de la bande son qui reste à mon goût le gros point faible du film: souvent peu adaptée à l'action ; deux musiques grossièrement juxtaposées sur la même scène ; enfin celle-ci est trop brutale, l'utilisation d'une musique plus douce et mélodieuse comme chez Kubrick avec Orange Mécanique aurait été plus prenante et puissante. Synthétiquement, l'inadéquation de la bande son casse le rythme plutôt que d'amplifier l'émotion. Typiquement, la bande annonce est à mon goût beaucoup plus poignante, prenante et grandiose que le film, elle raconte même une toute autre histoire, une histoire m'ayant plus bouleversé que le film lui-même.
Ces tâches noires n'empêchent pour autant le film d'être ingénieux, racontant l'ascension sous forme de descente aux enfers du Joker, la naissance d'un sentiment de revanche n'étant que le contrecoup de la violence subie, la haine véhiculée par le rejet d'un amour candide et la transformation d'un visage déprimé en sourire malaisant à mesure que le crime s'installe et que son apologie en devient grandissante: le mec assassine sa mère et ça nous paraît presque être justifié!
La violence donnée par Joker se ressent comme justifiée alors que celle qu'il a subie est gratuite, le personnage devient légitime dans sa folie meurtrière. Les valeurs sont inversées et le film m'a amené à remettre en question toute la vision de l'univers Batman, mêlant une vie tragique et comique, montrant finalement que tout n'est pas binaire...