Disney écrase la concurrence au cinéma. Leurs films Marvels explosent le box-office. Après plusieurs épisodes ratés, DC Comics tentent d'avoir leur part du gâteau. Ils décident alors de mettre le réalisateur Todd Phillips (Road Trip, Very Bad Trip 1-2-3) aux commandes. À la fois producteur, réalisateur et scénariste, il met en scène le rival le plus iconique de Batman : Joker. Avec autant de contrôle sur ce projet et un budget restreint face à la concurrence, le film de super héros peut-il prétendre au film d'auteur ?
Pour y répondre on va analyser de la direction artistique : lumière, couleur, ainsi que de la mise en scène. Ensuite, on va voir dans quel monde Joker évolue et son personnage. Pour terminer, on va faire une synthèse de l'ensemble en se penchant sur la direction générale.




Les images sont nappées de filtres pour dépeindre facilement des atmosphères. On retrouve l'orange and teal (bleu), une combinaison de couleur très répandue dans le cinéma actuel. La nuit est bleue, froide et évoque la solitude. La lumière est orange, chaude et évoque la pesanteur. Le film oscille entre le contraste et la présence de ces deux couleurs. En plus d'être surexploitées, elle crée une esthétique lassante où les images se ressemblent toutes. L'ensemble est aussi ponctué d'autres teintes : la folie est verte, la ville est noire, puis rouge et noire lorsque le peuple se révolte. Des couleurs assez banales, mais néanmoins efficaces.
Les lumières le sont tout autant. La ville est habillée de néons aux couleurs saturées. Ceux des intérieurs sont tellement puissants qu'ils semblent sortir d'un film de science fiction.
Les éclairages sont seulement utilisés pour accentuer des sentiments. Par exemple la scène dans le bus. Le Joker fait des grimaces à un enfant pour le faire rire. Le visage de l'enfant est lumineux. La mère se retourne, la lumière sur son visage oscille, elle est dérangée. Le visage de l'enfant se retourne et se fond dans le noir, il s'efface face à sa mère. Dans chaque scène, la fonction de la lumière prévaut à sa présence. Cela a pour effet de rendre la lumière artificielle, comme les couleurs qui l'habillent.


La mise en scène est tout aussi convenue. Pour augmenter le malaise de ses scènes il use d'artifices déjà éculés : l'utilisation du plan incliné pour évoquer un malaise. Le dézoom du personnage battu, couché au sol dans une ruelle vide, pour créer de l'empathie, de la solitude.
La dernière partie est ponctuée de mutiples ralentis inutiles afin de classifier le héros. Il y a même le plan de Super Héros avec des personnages marchants face caméra au ralenti.
La mise en scène manque d'originalité et n'est que fonctionnelle. La scène de Joker sur le plateau de la vedette tombe à plat. Le montage alterné entre le plateau et la diffusion à la télé reste trop ancré dans le plateau. Il est quasiment impossible de se faire une idée de la diffusion, tant on reste proche des deux protagonistes. L'image symbolique où il trône à côté du cadavre ne reste qu'une seconde. Tout s'enchaîne trop vite et n'est pas assez marqué.


Todd Phillips rate la majorité de ses séquences. Notamment la course-poursuite avec les deux policiers. Ses personnages étant caricaturaux, le spectateur sait donc que le gros flic n'arrivera pas à le suivre. Aucune tension n'est posée. La distance entre le Joker et ses poursuivants n'est jamais visible. Lors de la traversée de la route, le danger n'est pas assez présenté. Les véhicules viennent de biais et dans l'axe du personnage. Ils ne paraissent donc pas comme des obstacles. Une fois le véhicule tamponné, le personnage reprend de plus belle, comme si de rien ne s'était passé.
Une fois rentré dans le tramway bondé de clowns, les policiers sont trop désavantagés. On le suit alors sur trois wagons sans avoir une idée de la distance entre lui et son poursuivant. Il lui suffit de piquer un masque pour générer une bagarre et la neutralisation du policier. Cet enchaînement paraît surfait. Le joker part alors posant le masque dans une poubelle et fait une pirouette. Cette réaction est aussi ridicule que la tâche était aisée.
Tout ce qui se passe s'enchaîne trop facilement, rien n'est tangible.


Le sujet de chaque scène et image est travaillé au détriment du reste. Seul le sujet est prédominant, le reste est flou sans saveur. Le regard n'a que peu d'intérêt à se balader. La profondeur de l'image, que ce soit au niveau de sa composition ou de son champ est pauvre. Tout les détails ont les mêmes couleurs et sont mis sur le même plan. Une fois l'image assimilée, le regard n'a pas d'autre intérêt que d'attendre la suivante. Si le sujet était intéressant, cela aurait pu créer un style. Malheureusement tout est si fade et direct que rien n'a de substance, d'épaisseur.




C'est aussi le cas pour ses personnages, tous désagréables et superficiels. Tout le monde est égoïste et ne possède aucune once de bonté. L'enfant pur s'efface derrière la mère intolérante. La mère aimante se transforme petit à petit en monstre. Les riches tapent et se moquent du pauvre fou.
Aucun est humain parce qu'ils sont uniquement utilisés à des fins scénaristiques. Les riches sont des gros porcs violents, l'agent de sécurité fait juste son travail, la psychiatre fait mal son boulot. Ils ne sortent jamais de leur rôle, toujours déplaisant. Aucun a de détails ou de mimiques propres.
Le jeu d'acteur accentue cela, vu qu'il est totalement conventionnel. Les acteurs médiocres se confondent dans leur personnage cliché. Mis à part Joaquin Phoenix aucun acteur ne marque par son jeu. Ils exécutent machinalement des rôles déjà vus et revus. Etant donné leur superficialité et leur cliché, ils s'oublient aussi rapidement qu'ils ont été assimilés.


Le Joker ne fait pas exception. Il a des désordres mentaux et fait un métier aux antipodes de son état. C'est un clown triste, véritable perdant en plein burnout.
La folie dans le sens troubles, désordres mentaux est mal traitée. La maladie est très peu abordée durant le film et avec ses clichés habituels. Personne est tolérant avec son état. Personne est compréhensif. Tout le monde le pointe du doigt et le rejette pour ses troubles. Si il est ainsi, c'est parce que personne ne s'occupe de lui. Que ses médicaments ne font pas effet et que sa psychiatre est nulle. Son trouble mental est montré dans une seule scène. Ce dernier fantasme une liaison amoureuse avec sa voisine. On découvre alors la véritée dans une séquence Fight Club. On voit deux fois la même scène, la première où il est accompagné de sa voisine, puis la réalité où il est seul. En plus d'être tournée de manière sensationnelle, elle casse l'ambiguïté entre la raison et la folie.Si sa folie est ici imagée, donc le reste du temps il est pleinement conscient.


Il n'agit donc plus sous le coup de la folie, vu que c'est un acte rationnel. Ses motivations suivantes sont donc immorales. Il veut égoïstement se venger. Cependant, ses raisons sont totalement contradictoires.
Il se plaint que tout le monde le juge sur ses troubles mentaux, mais il va tuer sa mère à cause des siens. C'est d'autant plus un comble qu'ils partagent la même pathologie.
Il met à mort ses bourreaux (Wayne et Cayne) comme ils l'ont fait pour lui. Sans le vouloir, Wayne oppresse indirectement les pauvres par sa richesse. Le mouvement involontaire de Joker va mener un de ses partisans à tuer Wayne.
Le présentateur tue la carrière de Joker et se moque de lui. Joker tue le présentateur après avoir tourné au ridicule son émission.


Tantôt misérable, tantôt stupide et contradictoire, le personnage est d'autant plus mauvais qu'il est exagéré. Le Joker est fou ! On enchaîne alors les séquences malaisantes où il passe d'une expression à une autre. Il rigole à gorge déployée, s'arrête net et fait la mou. Il rigole puis pleure. Il danse lentement et maladroitement. Il rigole tout seul etc.. Ses séquences étant matraquées, on en devient habitué. Le malaise s'estompe alors et fait place au ridicule.


Ridicule qui se retrouve dans son mouvement politique involontaire. Ce dernier composé de personnes stupides et violentes. Ils fondent le mouvement après plusieurs meurtres. Ils mettent seulement la ville à feu, volent une ambulance et font n'importe quoi. Ils suivent un perdant, meurtrier. Ils sont uniquement présentés comme violents et réactionnaires. Ils contestent les mots vains de Wayne, tandis qu'ils encensent ceux du Joker. Ils veulent du renouveau, Joker agit comme ses bourreaux. Ils veulent des projets tangibles, ils suivent un fou sans idéaux.


Suivre les déboires d'un personnage misérable et méprisable dans un univers unidimensionnel aux personnages désincarnés est désagréable. La prestation des acteurs est tellement conventionnel quels sont éclipsés par la performance de Joaquin Phoenix. Cependant, ce dernier joue un rôle sans profondeur et caricatural. Le voir sans cesse rire et se dandiner finit par exaspérer tant l'acteur est sous exploité. Évoluer dans un univers qui fait du surplace et où tout s'imbrique sans liant et sans cohérence est ennuyant.




Le film est ainsi une succession de scènes caricaturales aux personnages désincarnés et désagréables. Tout est fait pour qu'on soit mal à l'aise et pour que la violence impacte. A force de baigner dans cette ambiance malsaine et artificielle, plus rien a de substance. Ce qui devait choquer devient banal, ce qui devait déranger devient ridicule. Le ton du film en devient d'autant plus désagréable que l'on suit un personnage ambivalent et pas attachant. Il est à la fois misérable, parce qu'il a des troubles mentaux, qu'il est pauvre et que tout ce qui lui arrive est horrible. Puis d'un autre côté, il est juste un homme faible, qui sombre rationnellement dans la violence et qui commet des actes atroces sans y porter aucune importance. Son état n'est pas évolutif. Tout s'enchaîne sans véritable liant, passant d'atrocité en atrocité. Le final, tant attendu est d'ailleurs tout aussi plat que le reste du film.


Todd Phillips offre donc avec Joker un spectacle abject et contradictoire. Il tente de donner une image positive du fou en ressassant les clichés et en mélangeant l'immoral à l'amoral. Il encense les marginaux et les minorités tout en se moquant des gens de petite taille. Il fait l'apologie de l'expression de soi en utilisant une technique industrialisée et éculée. A force d'exagérer et de tout amplifier, l'ensemble tombe à plat et reste sur le même ton. Il offre au Joker, le moins fou de tous, une genèse ridicule où il est adulé d'être un perdant assumé par des minables.
En faisant passer le film industriel et conventionnel Joker pour un film d'auteur, DC Comics a réussi son pari. Joker est un succès et obtient le record d'entrées pour un mois d'octobre.
Ce qui amène à se poser la question, quel est le plus grand spectacle entre la médiatisation d'un film et le film lui-même ?

Aquite
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le 12 oct. 2019

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