J’ai vu Joker hier soir en AVP. Je pars pour l’Australie et étant sur mon téléphone, je ne vais pas pouvoir développer avant un moment, mais je comptais donner un avis rapide à chaud. Je poste également ici, plutôt que sur le topic DC, car le film est clairement (comme annoncé) en dehors de la continuité des autres films. C’est tout juste si le film lui-même se rattache à DC en fait, donc pour moi il a sa place dans ce topic.
Et pour faire très simple. J’ai adoré. Pas comme je m’y attendais, peut-être pas emballé comme j’aurais pu l’être sur un film estampillé DC, mais ce film est fantastique. Beaucoup anticipé un film qui allait changer le genre, je ne suis pas d’accord : le film réinvente le film de comicbook dans son approche de son matériel de base en s’en éloignant de façon drastique, ne gardant que quelques éléments propres de l’univers et préférant garder le concept des personnages transposé dans notre société. Le film pousse le nolanisme à son extrême faisant passer The Dark Knight pour un film de super-héros fantastique. Cependant, le film ne fonctionne que parce qu’il porte sur le Joker. Reprendre la même formule’ et la transposer à un autre personnage risque de se solder par un échec... Du coup je comprends pourquoi la War’er A décidé de ne pas donner suite à l’idée De Todd Philips de développer une marque « DC Noire ».
Au-delà de cet aspect, le film est portrait terrifiant de notre société actuelle, de ses peurs, de ses folies, de ses défauts, de son système, de son oppression systématique... C’est glaçant et terrifiant, d’autant plus que le personnage d’Arthur Fleck en devient à la fois la victime et la personnification (la métaphore des escaliers où les gravir en fait un poids, un fardeau, et les descendre devient une libération, un affranchissement). Certaines critiques parlent d’une apologie de la violence et c’est vrai que celle-ci est présente, de façon fulgurante, explosive, brutale... Mais cela reste de la continuité du film où la population oppressée et dénigrée renferme cette violence en elle, tout comme Arthur, jusqu’au point de ne plus pouvoir la contenir et de la laisser de se déverser comme un raz-de-marée. Le film se veut un acte militant. Et que plus qu’une apologie, le film nous alerte que les personnes en souffrance peuvent se rallier derrière une figure iconique en laquelle elles se reconnaissent... Même si elle est moralement reprehensible, du moment qu’elle leur donne un espoir d’une amélioration... Exactement comme ce qui se passe dans notre société actuelle, certaines personnes parviennent à se faire élire, ou du moins à rassembler.
L’autre point du film, c’est la folie. Et celle-ci n’a jamais été traité de façon aussi brutale et de front avec le Joker que dans ce film. On y retrouve énormément de bonnes idées :
le rire d'Arthur, qui devient un problème neurologique tout en donnant une explication réaliste de cette propension que le Joker a de créer des situations gênantes par son rire, le délire fantasmé de la mère d’Arthur qui soulève un concept terrifiant tout en gardant une ambiguïté tout au long du film par rapport à notre connaissance ou non de l’univers DC (est-ce qu’elle est vraiment folle ? Est-ce que Thomas Wayne, cette figure de la bonté, s’avère ici être un puissant qui se protège d'éventuel scandale pouvant nuire à son image sans se soucier de ce que cela implique ? Est-ce qu’Alfred, ce personnage en qui on a toujours eu confiance, se montre ici loyal à la famille Wayne quitte à couvrir les déboires de Thomas ?).
La folie y est symbolique, narrativement, visuellement et graphiquement.
Et dans cette même veine, le film se présente comme une origin story du Joker, et il y parvient à merveille. En présentant une histoire originale, une interprétation originale du personnage et de son univers, le film reste fidèle à la seule et unique vérité sur l’origine du Joker : everyone can turn mad if they get a very bad day. Et c’est en ça que le film excelle. Il parvient à rester fidèle à cette idée unique, à en faire le cœur de son intrigue. La folie du Joker n’a jamais été aussi bien traitée, sur aucun support, au point que Todd a transcendé le personnage et se l’est approprié pour en créer une nouvelle interprétation, unique, marquante, glaçante, terrifiante. La lente descente aux enfers d’Arthur, ses psychoses, ses hallucinations, puis sa libération... tout se retranscrit à l'écran via différentes grilles de lecture jusqu’à cette dernière scène, magistrale. Et au-delà de ça, cette folie, cette mauvaise journée, se retrouve dans Gotham, ses habitants, tous ses habitants. La conclusion est magistrale, unifiant l’univers et son interprétation.
Joaquim Phœnix est bluffant. Outre la transformation physique le rendant presque méconnaissable, il est viscéral. Outre son rire perturbant, ce n’est pas par des gimmick qu’il se distingue mais bien par son regard. Ce regard qui peut se montrer vide, briller de folie, ou alors se montrer triste ou joyeux... J’ai beaucoup aimé d’ailleurs que son rire naturel, celui qu’il a quand il est vraiment heureux, ne soit pas le même que celui de son problème neurologique. Et au-delà de ça, même si c’est de façon subtil, Phœnix montre toutes les différentes facettes qui définissent le Joker, en en faisant sans doute l’interprétation la plus fidèle après celle de Hamill. On aura droit à plusieurs petites scènes qui viendront justement illustrer des caractéristiques qui font partie du personnage original.
Pour le reste du casting, j’ai beaucoup aimé Robert De Niro, notamment le message que son personnage essaye de transmettre à la fin, comprenant ce qui se passe. Étrangement, il en devient poignant et dramatique. Idem pour Brett Cullen, qui sera donc celui ayant eu le plus d’opportunités pour interpréter Thomas Wayne et proposer quelque chose d'ambigu qui joue sur nos attentes, nos préjugés... Tout en restant fidèle à l’idée
(car le meurtre des Wayne toujours été présenté comme un drame pour Gotham, et même si Thomas est ici une présence négative, sans être un réel antagoniste (peut-être la personnification de cet antagoniste, à savoir la société), sa mort, de par son contexte, devient alors dramatique car s’inscrit parfaitement dans la logique du « mécène assassiné par ceux qu’il promettait de sauver »).
J’ai bien aimé Zazie Beetz et Frances Conroy, surtout dans ce qu’elles apportent par rapport au personnage d’Arthur. Le reste du casting est dans l’ensemble très correct, rien à redire dessus.
Sur le plan technique, le film est aussi une merveille. La musique se veut très oppressante avec son thème récurrent de violon très lourds et pesants, avec toutefois quelques envolées lors des moments phares. Et elle a parfois ce côté étrange, presque léger, qui illustre la folie et la distingue des autres films du genre. Les décors sont superbes, dans une ambiance très 80s, tout en présentant une nouvelle fois une Gotham très réaliste mais rongée par la crise sociale. J’ai beaucoup aimé les décors d’Arkham, notamment avec le parallèle qui peut être dressé avec d’autres scènes du film et ce que ça illustre sur la folie.
Ce qui ressent aussi avec la mise en scène très minimaliste de Todd Philips, très simple, mais qui n’hésite pas à prendre des risques et à gagner en légèreté pour accentuer le symbolisme de la folie. La photographie sera tout aussi superbe, jouant beaucoup avec la lumière et les couleurs, qui participent à créer ce malaise lors de certaines scènes, le jeu des reflections dans les yeux de Joaquim Phœnix attisant l’expression de ses émotions. Pas besoin d’une mise en scène grandiloquente, Todd Philips veut ancrer la sienne dans un réalisme pur, dans notre société... La rendez aussi viscéral que son personnage.
Joker est grandiose. Joker est unique. Joker est terrifiant. Joker est un chef d’œuvre. Étrangement, le film ressemble ce à quoi je m’attendais tout en ayant réussi à me déstabiliser par rapport à mes propres attentes sur un film du genre. Difficile de le considérer comme un film de super-héros, comme un film basé sur un personnage de comicbook. J’ai même du mal à le considérer comme un film DC. Il est le premier à se distinguer et transcender son support original pour créer une œuvre entière, à part, qui peut se voir sans prérequis.