« Quand on est petit, on admire les super-héros, quand on grandit, on comprend les méchants »

C’est bien la première fois que je ressors de la salle, décontenancé, bouleversé, par un film DC.
Une semaine après, je continue encore d’y cogiter.
Je dois bien l’admettre, je me suis pris une énorme tarte dans la gueule…et j’ai encore mal à la joue.


On est loin du film de super-héros propre sur lui, avec cet origin story consacré au vilain clown, admirablement interprété par Joaquin Phoenix.
Si vous pensiez être venus voir un film d’action, vous risquez d’être déçus comme ces trois branleurs de la rangée de devant, qui n’arrêtaient pas de papoter, de faire mumuse avec leurs portables, et à qui j’ai du toucher deux mots.


Ce « Joker », de Todd Phillips (connu principalement pour la saga « Very bad trip ») est un drame psychologique qui prend son temps.


Le réalisateur nous dépeint un Gotham City sombre, semblant sorti des années 80, où les poubelles dégueulent et où la violence, l’insécurité et la criminalité y sont reines.
Conséquences d’un capitalisme effréné, les inégalités sociales entre riches et pauvres se creusent. Le spectateur assiste au spectacle d’un rêve américain devenu cauchemar, le prenant pour témoin de la naissance d’un monstre, resté longtemps tapi dans l’ombre.


Dans ce monde dramatiquement réaliste, nous suivons Arthur Fleck, apprenti comédien de stand up et clown portant les pancartes publicitaires.

Grand garçon gentil, dévoué à sa mère, il souffre de plusieurs pathologies psychiatriques dont l’étrange particularité de rire à la moindre contrariété.
Et des contrariétés, il en traverse ! La vie d’Arthur n’est pavée que de contraintes, d’humiliations, de frustrations, de misère sexuelle et affective.
Nous éprouvons une forte empathie pour ce pauvre enfant inconsolé, plein de bonne volonté, luttant tant qu’il peut contre la folie de ce monde devenu tragiquement fou.


Et lorsque l’on a rien, on a rien à perdre.


Cet insignifiant martyr, transparent aux yeux des autres, va peu à peu se métamorphoser en ce Joker virevoltant et démoniaque.
Ne se souciant plus des lois, du regard des autres, ce monstrueux dandy famélique saura se faire respecter et sera même, malgré lui, la figure de proue de la révolution qui met Gotham à feu et à sang.


Arthur va cesser de subir le chaos ; il en deviendra l’incarnation.


La danse de mort du Joker, descendant ce grand escalier qu’autrefois Arthur peinait à monter, restera une des scènes qui auront imprimé ma rétine.


On sent une volonté de Todd Phillips de nous livrer une vision d’auteur, à travers ce récit édifiant.
Bien réalisé, le film est surtout magnifique de par la qualité de sa photographie, son ambiance sonore et sa bande originale.
La musique anxiogène, dissonante, sublime, composée par la violoncelliste Hildur Guðnadóttir, nous prend aux tripes sur chaque scène. Elle nous accompagne dans cette plongée dans la folie du personnage.


Et comment parler du « Joker » sans féliciter la performance impressionnante de Joaquin Phoenix ?
Son regard torturé, ses mimiques, sa gestuelle, son jeu d’acteur n’a jamais été aussi bon. Il s’est investi dans le rôle jusqu’à s’amaigrir de 25 kilos. Et ça paye, car il nous livre un Joker fidèle à l’esthétique des comic books.


Certains se demandent comment un réalisateur, cantonné aux comédies potaches, a put nous livrer un tel brûlot, noir, sanglant ?
Ils y verront peut-être plus clair à la suite de cette déclaration qu’il a lancé, lors de la tournée de promo du film :
"Essayez d'être drôle maintenant dans cette société éveillée et consciente. Il y a eu pléthore d'articles expliquant pourquoi les comédies ne fonctionnent plus – Je vais vous dire pourquoi, parce que tous les mecs vraiment drôles lâchent l'affaire par peur d'offenser les gens. C'est difficile de débattre avec 30 millions de personnes sur Twitter. C'est vraiment impossible, non ? Du coup, tu te dis 'J'arrête'. Je m'arrête, et vous savez quoi ? Toutes mes comédies ont un point commun – et je pense que c'est le cas de toutes les comédies – elles sont irrévérencieuses. Du coup, je me suis dit 'Comment faire un film irrévérencieux tout en emmerdant la comédie ? Je sais, prenons l'univers des comics et tordons lui le cou. C'est comme ça que j'ai eu l'idée de faire le Joker."


Devant cette péloche pessimiste, véritable antithèse aux films de super-héros lisses et aseptisés, oscillant constamment entre plaisir et malaise, on ne ressort pas indemne de la salle.


Certainement un des meilleurs films de l’année 2019.

Al-Core
9
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le 29 oct. 2019

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Al Core

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