Pour son premier long métrage d’animation, le dessinateur Aurel s’est imposé un défi de taille : évoquer à la fois l’épisode de la Retirada, la fuite massive des républicains suite à la victoire de Franco en 1939, et le sort d’un détenu particulier, voué à devenir un artiste de renom, Josep Bartoli.


La dimension historique approfondira, si besoin était, la connaissance historique des plus jeunes, et le témoignage sur une France qui, avant l’Occupation, se révélait bien entrainée en matière d’emprisonnements et de camps de concentration sur sa frontière Sud. Si la leçon est par instants un brin didactique (notamment sur le racisme endémique, que ce soit avec les espagnols ou les Africains), le constat est sans appel et le récit restitue avec force les exactions, le déracinement d’une population, les familles déchirées et les tentatives, par fragments, de réinsuffler la vie, la culture d’une nation et le sens de la collectivité derrière des barbelés.


Sur le plan artistique, l’ambition est plus grande encore. Par l’entremise d’un récit distillé sur de multiples temporalités, il s’agit de suivre le parcours initiatique, dans la douleur, d’un artiste voué à une longue carrière. Aurel attribue à chaque période un style spécifique, pour les différencier (comme ce récit encadrant au présent entre l’adolescent et son grand père, assez neutre et passe-partout), et surtout intégrer les évolutions esthétiques du dessinateur. A la plume, à l’aquarelle, dans un mouvement au départ presque inexistant (les silhouettes sont dessinées à différentes étapes de leur parcours pour évoquer leur progression sur un chemin), l’animation semble dans un premier temps adopter une forme de pudeur en lien avec les conditions extrêmes subies par les prisonniers. A la faveur de quelques rêves, d’une amitié naissante et de confidences, la fluidité s’invite, la couleur fait irruption et une forme d’exorcisme par la création accompagne le récit d’un homme au crépuscule de sa vie, représentant, en tant que gendarme, d’une nation qui a bien des remords à exprimer. L’intégration, très habile, des œuvres de Bartoli au dessin d’Aurel procède ainsi à la fois de la citation et d’un véritable ancrage biographique d’une très grande acuité pour en comprendre l’inspiration.


La seule restitution de la complicité entre les deux hommes et de la recherche éperdue par Josep de sa femme elle aussi exilée aurait suffi. Mais en 75 minutes, Aurel parvient à dépasser le récit encadrant pour esquisser les traits d’une vie entière, qui passera par le Mexique et New York, et poursuit l’aventure graphique d’un artiste qui s’émancipe de ses traumatismes pour réapprendre à vivre : par la couleur, par la modernité, par l’abandon de la figuration, comme pour clore l’horreur originelle et laisser parler une sensibilité qui a le droit à l’apaisement. Au terme d’un siècle effroyable, reste chez cet homme qui fut activiste et pris dans une Europe déchirée par les extrêmes, un au-delà de l’idéologie qui lui permit de vivre. Pour son ami gendarme, c’est la conscience. Pour Josep, ce pourrait être l’âme, une « belle idée » selon lui, avant d’ajouter : « les belles idées, si elles ne rencontrent pas une belle personne, ça devient la mort ».


(7.5/10)

Sergent_Pepper
7
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le 30 oct. 2020

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