Un "cher journal, celui que j'aime le plus" des plus intimistes, une Vespa sillonnant les routes de Rome au milieu des criquets et des grillons, la très envoûtante voix de Leonard Cohen et des plans architecturaux qui donnent envie de ne dire mot pour mieux écouter Moretti : Caro Diario éveille, dès les premières scènes, l'intérêt du spectateur. Il éveille son intérêt, stimule sa curiosité, attire son attention et la centre sur des points précis ; car il en appelle à tous les sens : voix et fond musical parfaitement synchronisés, paysages que nous traversons au même rythme que Nanni, sensation retranscrite d'un vent chaud qui nous hérisse les poils ; même l'odeur de la végétation bordant la route pourrait caresser nos narines et le goût de la découverte chatouiller nos pupilles.


Ainsi, Journal intime commence de manière très inclusive, nous convertissant nous-mêmes en une page, une ligne, une reliure de ce fameux compagnon qui suivra Moretti partout au cours des trois chapitres évoqués : une promenade en Vespa dans la Rome déserte de l'été, le tour des îles Éoliennes, une interminable cavale de cabinet médical en cabinet médical. Nous avons donc l'honneur d'accompagner Nanni Moretti sur sa route, matérialisé en compagnon-assemblage de pages.


Aussi inclusive soit-elle, la formule du journal intime est tout aussi exclusive. En effet, en se plaçant non pas en principal protagoniste comme souvent dans ses films, mais en quasi-unique protagoniste, Nanni Moretti assume un autocentrisme appuyé. Bien que ses critiques soient émises avec beaucoup d'humour et de subtilité, le réalisa-cteur se place dans une position exagérément extérieure au reste du monde qui l'entoure, position qui l'érige en être supérieur, critique mais dépourvu de défauts.


Puisque la décomposition du film en trois séquences appelle à une triple critique, considérons que la première partie est une jolie promenade, presque apaisante, qui fait parfois naître un sentiment d'exaspération quant à la position de Nanni Moretti, mais que l'on pardonne volontiers grâce au recul qui est pris.
La seconde partie, où l'on fait le tour des îles Éoliennes en promenant avec nous une réflexion sur l'artiste et le rôle de la télévision, oppose très nettement Moretti à l'ami qui voyage avec lui, ainsi qu'aux différents personnages chez qui les deux protagonistes sont successivement logés. Dans cette position, Moretti accentue la distance supérieure entre lui et le reste du monde, puisqu'il est seul confronté à son entourage, dont on déplore les réactions. Notons un relatif manque de subtilité dans l'exagération de la scène au cours de laquelle son compagnon de voyage court vers le port en hurlant "télévision" à maintes reprises.
La troisième partie, très intimiste puisque c'est à travers elle qu'on apprend la maladie du réalisateur, parait peut-être moins hautaine et péremptoire, mais sa banalité est troublante : la grande majorité des malades déplore les erreurs médicales à répétition. C'est bien parce qu'il s'agit de la vie du maître Nanni Moretti que nous nous attardons sur le chapitre entier...


Beaucoup de paradoxes se superposent donc dans Journal intime : les critiques, d'abord, sont assez banales : Qui n'a jamais songé à l'égoïsme du monde et au manque criant d'écoute et de véritable échange dans les conversations ? Qui n'a jamais pensé du mal du statut de l'enfant-roi ? De l'impact des nouvelles technologies ? Qui n'a jamais changé six fois consécutives de médecin en déplorant leur incompétence, sans qu'aucun ne trouve jamais de quel problème il s'agissait ?
En somme, si nous pouvons être très reconnaissants à l'égard de Moretti pour la confiance qu'il nous accorde en nous dévoilant l'existence de sa tumeur et bon nombre de réflexions, quel aurait été le succès de ce film s'il avait été un long-métrage amateur ? N'est-ce donc pas le personnage-même de Nanni Moretti qui fut applaudi à Cannes, plus que le film proprement dit ?
Voilà qui va de paire avec l'égocentrisme de Caro Diario tout entier.


Un film, donc, entre bijou de mise en scène et déplorable mélange d'orgueil et d'autocentrisme, qui laisse perplexe par bien des aspects ceux qui n'ont pas d'avis tranché, auquel il peut s'avérer bien impossible d'attribuer une note.

Claire_Griois
6
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le 22 oct. 2015

Critique lue 577 fois

2 j'aime

Claire Griois

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