Sorti deux ans après The Swimmer, Diary of a Mad Housewife continue d’explorer la « folie » (cf. titre en version originale) d’un être qui perd pied dans une société hypocrite. Non plus mise à l’épreuve de la masculinité, avec ce corps athlétique qui progressivement recouvrait la mémoire et revivait sa descente aux Enfers, mais dénonciation de la violence symbolique que subit au quotidien la femme dans les foyers américains de la middle class. Frank Perry démasque la comédie sociale mais choisit, une fois encore, de le faire à distance : il adopte le regard de la ménagère, comme en témoignent les nombreux plans sur les yeux de Carrie Snodgress, pour échapper à la position surplombante de moraliste ; ainsi donne-t-il chair à une thèse qui, sinon, serait restée de l’ordre de l’idée abstraite. Le cinéaste a compris que l’épaisseur physique et psychologique du protagoniste principal constitue un vecteur d’immersion efficace pour le spectateur, capable de partager la douleur d’une personne qui pourrait être lui. L’attention aux détails du quotidien, depuis le déroulement machinal des tâches jusqu’aux parades amoureuses en passant par les crises, les courses et les conversations creuses, prolonge cette authenticité recherchée par le scénario et par les décors, ce qui ne contraint pourtant pas la mise en scène au néo-réalisme. Au contraire, la réalisation fourmille d’idées originales et revendique dès le début son artificialité (recours à la demi-bonnette) ; elle bénéficie de la photographie soignée de Gerald Hirschfeld, avec ses jeux de couleurs atténuées et son grain.
Le film se distingue par la rigueur de son dispositif qui nous enferme avec Tina Balser dans des espaces clos : la chambre à coucher donnant sur la salle de bain, la cuisine ouvrant sur la salle à manger, le petit appartement de George, dont l’aspect dépouillé s’oppose au faste de la demeure familiale pleine de bibelots et de tableaux d’art destinés à épater les invités. La révolte de la ménagère se heurte alors à une impossibilité d’échapper à sa condition, puisqu’elle ne trouve pas davantage de réconfort dans les bras de son amants que dans ceux de son mari ; elle affirme ne pas aimer le sexe, suscite l’hilarité pour cet aveu qui est aussitôt étouffé ; ses filles s’adressent à elle comme à une boniche ; même le chien participe à l’effort collectif en déféquant sur le tapis de l’entrée…
C’est là que Frank Perry, en artiste indépendant, fait preuve d’originalité : en refusant la naïveté d’une fuite qui ne serait envisageable que dans la fiction hollywoodienne lambda, il représente ce qui d’ordinaire n’est pas montré, ou trop peu, à savoir les louvoiements existentiels d’un être qui traverse le chaos sans en sortir héroïsé ou grandi. Exception faite de l’adultère, la rébellion de Tina relève de l’anecdote : cuisiner des omelettes aux invités de marque, ne pas réagir devant le vol d’un objet de valeur appartenant à son mari, subir les remarques désobligeantes d’un groupe de parole incapable d’empathie. Dans ce silence intérieur, que le cinéaste exprime à l’écran par une réduction de ses dialogues, est sondée la conscience d’une femme tout à la fois impliquée et étrangère, active et passive ; celle-ci permet alors au théâtre du monde de déployer ses illusions et d’animer des fantoches grotesques, à l’instar de Jonathan, incarnation de l’homme d’affaires crédule et sans intelligence qui s’aveugle au spectacle social auquel il pense appartenir, en vain. Une œuvre à découvrir.