Le film commence très classiquement avec la reine Elisabeth 1re, dite la reine vierge, en costume d'époque dans son château, accompagnée de son conseiller, d'une naine et d'un éphèbe habillé en noir. La reine est ensuite envoyée dans le futur en 1977, et la même actrice méconnaissable interpète une des punks de la bande ; on revoit la reine à nouveau à la fin du film déclamer des vers de Shakespeare. Quel rapport y aurait-il entre la reine Elisabeth et le reste du film centré sur le mouvement punk ? Aucun, mon général.
Ce n'est pas le moindre paradoxe de ce Jubilee qui a été réfuté en tant que punk par les punks eux-mêmes, et donc pour cela a une véritable légitimité de film punk, où les principales protagonistes sont des femmes, ce qui n'était pas très commun à une époque où les groupes punks étaient tous masculins, à l'exception des Slits, groupe crédité d'ailleurs au générique tout comme Siouxsie and the Banshees dont le leader Siouxsie Sioux est une femme. Les femmes sont ici les dominantes, vierges guerrières aux noms aussi sexy que Mad, Crabs (Morbac en VF ) ou Nitrite Amylique. Les actrices, dont aucune n'est très connue, ont toutes un sacré abattage et le film repose à 90% sur elles. Ayons une pensée en passant pour Poly Styrene la chanteuse du groupe punk X-Ray Spex et Ari Up, chanteuse des Slits, qui ne jouent pas ici mais disparues toutes deux prématurément.
Jubilee est donc un film féministe avant l'heure. Tout naturellement le mâle partageant le lit de l'une des filles de la bande finit assassiné, au motif de ne pas l'avoir fait jouir. Les autres mâles se prélassent nus dans leur lit, n'oublions pas que c'est un film underground. On assiste pendant le plus clair du temps à des disputes entre copines, à des réconciliations et à une séquence où l'une des filles se fait graver au couteau de cuisine « Love » sur son dos, et cela sans truquage apparent. Il faut noter en même temps le respect de l'esthétique punk visible dans les graffitis peints sur les murs ; dans son film le plus connu Jarman a été inspiré par le Caravage et il était lui-même un peintre.
Le mauvais goût assumé côtoie ainsi l'art plus consensuel et donne un petit côté so british. Quoi de plus normal pour un citoyen Anglais moyen qui a, de manière innée, l'habitude de mélanger la viande bouillie et la sauce à la menthe, qui s'habille avec les sous-vêtements de sa femme en semaine et démonte ses adversaires en jouant au rugby le week-end. (Pour la sociologie de nos amis anglais, ce sera tout pour cette fois-ci). Le film étant anti-système, les thèmes principaux du punk sont évoqués: une voiture est détruite à coups de masse pour le fun, un flic vicieux et sadique est tabassé , pour finir carrément émasculé, un autre se prend un cocktail Molotov à bout portant. Aujourd'hui tout ça paraît artificiel, le côté provocation de 1977 ayant fait depuis longtemps un flop depuis que tout a basculé dans la rubrique faits divers.
En guise de bande-son punk c'est la déception : on a droit au distingué Brian Eno, qui n'a rien d'un punk, et rien des Sex Pistols et consorts, à part quelques très brèves apparitions de groupes peu connus. Pour le scénario pas de prise de tête, il n'y en a pas ; le côté foutoir, anarchique et plein d'énergie (chez les filles) est finalement le meilleur atout de ce film mineur mais honnête, qui, en fin de compte est plus intéressant qu'un interminable classique de David Lean ou Attenborough, pour rester chez les Anglais. L'actrice Tilda Swinton qui était l'égérie de Derk Jarman, raconte combien elle appréciait de tourner avec lui car il ne se prenait pas au sérieux. Un metteur en scène à connaître donc et un film venant à point nommé pour commémorer les trente ans du mouvement punk de 1977 et le jubilé de saphir d'Elisabeth II, deux événements de la plus haute importance.