Juliette ou la Clef des songes par Maqroll
Marcel Carné a connu une période faste qui va de Jenny (1936) aux Enfants du paradis (1945) en passant par Drôle de drame, Quai des brumes, Hôtel du Nord, Le jour se lève (Les Visiteurs du soir et Les Portes de la nuit étant nettement deux crans en dessous). C’est évidemment la période où il avait Prévert pour scénariste… Privé de son ex-partenaire, il se retrouve privé du principal ressort de sa réussite. Il ne suffit pas en effet d’empiler des métaphores pour faire de la poésie… Il manque dans ce Juliette ou la clé des songes le principal, à savoir la langue… la langue riche et chatoyante de Prévert, qui servait les comédiens sur un plateau et donnait l’occasion à Carné, honnête artisan sans plus, de se faire passer pour un maître. Ici, on a une bonne idée de départ mais qui se brouille très vite dans une confusion des thèmes désolante. Du prisonnier qui se réfugie dans ses songes (on pense bien sûr à Peter Ibbetson), on passe à une exploration d’un monde sans mémoire (Alzheimer quand tu nous tiens !) puis à une espèce de dérive médiévale où l’on débouche dans un effet comique aussi irrésistible qu’involontaire sur la figure de Barbe bleue ! Perdus dans ce dédale, les comédiens sont pitoyables… il faut dire que la distribution est loin des fastes précédentes (Jouvet, Simon, Gabin, Arléty, Barrault, Brasseur, etc.) puisque les trois rôles principaux sont tenus par de bien médiocres comédiens, Gérard Philippe en tête, très bon au théâtre mais guindé au cinéma, Jean-Roger Caussimon, bien maladroit en ogre et la pauvre Suzanne Cloutier aussi piètre comédienne que dépourvue de charme. Quant à la réalisation de Carné, jetons dessus un voile pudique… Un film raté dans toute l’acception du terme.