Juliette ou la Clef des songes par pierrick_D_

On a décidément été bien injuste avec le Carné des années 50,celui d'après la fin de la collaboration avec Prévert.Certes,il n'a plus fait d'aussi grands films mais il a quand même maintenu une belle qualité,et "Juliette" en est un exemple.Exit donc le fameux réalisme poétique dont les deux compères s'étaient fait une spécialité,Carné alternant désormais réalisme et poésie.Ce film appartient résolument à la veine poétique,et même onirique en l'occurrence,ainsi que le laisse deviner le titre.Si Prévert est parti,le reste de la bande est là et bien là.Les décors de Trauner sont fabuleux,la musique de Kosma envoûtante,et la photo d'Alekan absolument magnifique,Carné dirigeant le tout avec sa maestria coutumière.Ajoutons que Georges Neveux,l'auteur de la pièce ici adaptée,ne démérite pas et signe d'excellents dialogues.L'histoire,manifestement marquée par "Caligari" et "Brigadoon",nous entraîne à l'intérieur du rêve d'un prisonnier qui s'imagine arrivant dans un étrange pays où les gens ont perdu la mémoire et où il se met à chercher sa bien-aimée.Rarement on a si bien traduit la confusion mentale intervenant lors du sommeil.Le rêveur mélange personnages imaginaires et personnes qu'il a rencontré dans la réalité mais à qui il attribue une identité différente,se créant ainsi un monde fantasmagorique dans lequel il s'intègre difficilement.Le réalisateur établit une ambiance bizarre où suinte un léger malaise et nous interroge sur la valeur et la fonction de la mémoire,les habitants de ce pays irréel semblant vivre plus heureux sans leurs souvenirs mais essayant pourtant désespérément de les retrouver.Faut-il fuir la réalité,l'affronter ou s'en inventer une autre?Le héros se heurte à tous ces curieux personnages et évolue dans un semi cauchemar.Une fois revenu dans le monde réel,il devra faire un choix.Tout ça ne va pas sans quelques longueurs et une certaine naïveté mais cette oeuvre quasiment psychanalitique ne manque ni d'intérêt ni d'originalité.Et quelle distribution!Gérard Philipe,la star du TNP,acteur mythique mort à 36 ans,resplendit dans le rôle principal de charisme et de photogénie.Suzanne Cloutier,la Desdémone de l'"Othello" d'Orson Welles,prête sa beauté à Juliette,tandis que défilent devant la caméra de fantastiques seconds rôles,dont Jean-Roger Caussimon,Yves Robert,Roland Lesaffre,René Génin,Edouard Delmont,Gabrielle Fontan et un tout jeune Pierre Vernier.