Le premier long-métrage de Zoé Wittock, intitulé Jumbo et sorti l’année dernière, avait de quoi décontenancer une bonne partie du public. Mettre en scène une relation amoureuse entre une jeune femme et une attraction, de mémoire, je dirais que c’est inédit. Et bien que Wittock décide de donner le premier rôle à Noémie Merlant, à présent davantage connue aux yeux du grand public grâce au Portrait de la jeune fille en feu (2019) de Céline Sciamma, la proposition du film reste radicale, voire loufoque. Et pourtant, cette radicalité fait un bien fou.
L’histoire met en scène Jeanne Tantois, une jeune femme timide et réservée, atteinte d’un trouble du spectre de l’autisme, qui partage sa vie avec sa mère, beaucoup plus extravagante qu’elle. Un soir, alors qu’elle opère ses fonctions de gardienne de nuit dans un parc d’attractions, elle va se montrer attirée par l’une d’elles. Cette attirance va se muer en véritable amour passionné, à tel point qu’elle passera ses nuits avec cette attraction et qu’elle lui donnera le nom suivant : Jumbo.
Si l’histoire s’inspire en partie de celle d’Erika Eiffel, cette femme qui s’est mariée à la tour Eiffel, cela n’empêche pas Jumbo de développer ses propres personnages et enjeux. De même que de nombreuses productions Amblin des années 80/90, Jumbo fait apparaître, au sein du quotidien morne et peu passionnant de Jeanne, un élément fantastique qui va venir chambouler ce quotidien. Le film joue, par ailleurs, à fond cette carte d’un certain héritage des films Amblin, en utilisant des lumières colorées, ou même des néons, relevées par une somptueuse photographie. A ce titre, la scène de rencontre entre Jeanne et Jumbo transpire d’une certaine vibe rétro : l’image est très colorée, l’apparition de Jumbo comme entité vivante est proche du genre de l’épouvante sans y aller complètement, et le travail sur le sound design pour rendre Jumbo aussi compréhensible que possible, et donc humain, est top.
Cet amour pour le visuel, pour la fabrication l’image, sera également couplé à un amour pour ses personnages. Noémie Merlant offre un portrait magnifique d’une jeune femme hermétique au monde qui l’entoure, voire effrayée. Les hommes ne l’attirent pas, et elle préfère rester seule, de peur d’être pointée du doigt et d’être désignée comme une personne anormale. Le seul être avec lequel elle peut se permettre de laisser éclore sa véritable personnalité, c’est Jumbo. Evidemment, cette relation que Jeanne développe va s’attirer les foudres de sa mère, jouée par une excellente Emmanuelle Bercot. Dès le départ, tout les opposait, la fille étant réservée, la mère étant extravagante (vraiment, genre plus gênante qu’elle, tu meures) ; mais lorsque cette-dernière découvre la passion que sa fille développe pour un objet, elle ne peut le supporter. C’est ainsi que le second tiers du film prend des allures de drame familial, dans lequel Jeanne est obligée de batailler pour vivre son amour normalement alors que tout le monde essaye de l’en empêcher.
A terme, Jumbo est un film dont la proposition radicale est globalement assumée, comme en témoigne cette scène complètement surréaliste d’ébats sexuel entre Jeanne et Jumbo (oui-oui, il y en a une), filmée sur fond blanc à la manière d’un Under the Skin (2014) de Jonathan Glazer. Seulement, ses petits défauts par-ci par-là, ont tendance à toujours nous rappeler que nous avons affaire à un premier film. De nombreux problèmes d’écriture viennent entacher quelque peu le visionnage de Jumbo, à commencer par certains dialogues, qui sonnent tout simplement faux, ou même forcés. De même, le film comporte un léger ventre mou vers le milieu de son récit, donnant alors au spectateur la désagréable sensation que l’intrigue tourne en rond. Enfin, si les personnages de Jeanne et de sa mère se montrent d’une complexité touchante et maîtrisée, ce n’est pas le cas des autres personnages, qui se limitent à être de viles ordures. On pense à Marc, joué par Bastien Bouillon, qui se montre gratuitement odieux envers Jeanne à la fin, ou encore à la bande de jeunes qui passent tout le film à pourchasser et malmener celle-ci. On passera également sur le fait que Hubert, le nouveau petit ami de la mère de Jeanne, décide de livrer un véritable message de tolérance et d’ouverture d’esprit un peu naïf… mais seulement à la fin du film, histoire que l’intrigue puisse s’étirer, le message d’Hubert retirant tout a priori chez la mère vis-à-vis de sa fille, comme par magie.
Malgré ces petits soucis d’écriture, propre à un premier film, et l’impression qu’il manque au long-métrage deux ou trois scènes fortes pour être marquant, Jumbo n’en demeure pas moins un premier film passionnant et dont le concept a été parfaitement assumé. Le film de Zoé Wittock livre un discours attendrissant sur l’acceptation de soi, et l’acceptation d’autrui, le tout porté par un personnage principal écrit avec tendresse et nuance. Pour une fois au cinéma, l’autisme n’est pas traité comme quelque chose d’effrayant ou d’indésirable, mais comme un élément qui n’a pas besoin d’être pointé du doigt, un élément faisant partie de la vie de ceux et celles qui sont touchés par ce trouble, mais qui ne les empêche absolument pas de trouver le bonheur. Finalement, l’histoire que propose Jumbo peut être déstabilisante pour un grand public ; mais comme le dit le personnage de Noémie Merlant lorsque Marc lui affirme qu’elle devrait se faire soigner : et si c’était à vous d’ouvrir les yeux ?