"Junior Bonner" dispose des points forts et des limites de ces films assez peu connus qui s'inscrivent parfaitement dans la dynamique d'une filmographie déjà bien balisée par ailleurs. Considérés comme "films de", pour peu qu'on soit sensible au style de l'auteur, ils sont le vecteur d'un souffle nouveau, d'un nouvel angle d'attaque, d'une petite gourmandise qu'on prend le temps de déguster en dehors des sentiers battus à l’origine d’une certaine renommée. Considérés en dehors de ladite filmographie, cependant, ils peuvent perdre une partie non-négligeable de leur intérêt.
À la différence d'un film comme "Le Cavalier électrique" dans lequel Robert Redford incarnait (7 ans après le présent film) un cowboy vieillissant qui n'avait plus sa place ailleurs que dans des publicités pour des céréales, "Junior Bonner" propose une vision plus résistante du cowboy, même si la toile de fond américaine reste sensiblement la même. Il y a aussi un parallèle évident à tracer avec son chef-d'œuvre "La Horde sauvage", la cristallisation-consécration des idéaux de Peckinpah. Une époque passe, une page lourde de sens et de valeurs est en train de se tourner, sauf qu'il est ici question de l'époque contemporaine et non pas du début du XXe siècle. C’est l'éternelle question de la subsistance de figures vieillissantes au sein d'un monde moderne qui ne leur correspond plus. Dans "La Horde sauvage", la voiture rutilante du général remplaçait les chevaux, la grosse mitrailleuse remplaçait les fusils plus classiques. Ici, c'est la figure du frère de Steve McQueen qui incarne cette passation subie, sous forme de déliquescence amère et violente. Le mal était chez les enfants en 1969, avec ces scorpions livrés aux fourmis rouges et aux flammes, il a désormais pénétré les strates internes de la famille. Peckinpah est toujours un habile monteur, et les scènes de destruction des maisons sur le chantier, avec ces bulldozers géants et menaçants, le prouvent encore une fois dans une certaine mesure. Seul le sujet en atténue véritablement la puissance, et on pourrait faire la même remarque au sujet des séquences de rodéo filmées au ralenti.
Hypocrisie, inhospitalité, et la fin des valeurs constitutives de la légende du grand Ouest : l'honneur des grands hommes du passé cède le pas aux profits capitalistes modernes. Le message pourrait avoir le mauvais goût des pamphlets réactionnaires, mais Peckinpah adopte une toute autre approche, presque sensible, centrée sur la relation entre un père et son fils. C'est à travers leur mal-être commun qu'il projette sa perspective, conférant à cette petite histoire la saveur amère d'une intense mélancolie familiale. Et ça change radicalement le ton sur lequel est délivré le message.
[AB #128]