Féérie du chaos
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le 12 janv. 2018
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Cette critique est un écho.
Il est 16H34. Je quitte Isla Nublar, convaincu que je viens de voir un film issu de l'âge d'or des blockbusters. Pourtant, l'expérience avait plutôt mal démarré : après une ouverture grandiose laissant entrevoir toute la puissance du film, la première image de synthèse accroche la rétine comme un hameçon accroche un ver de terre boudiné, en lui perçant le ventre et en le laissant se vider de son sang. Le résultat est sang appel : malgré tous les efforts des acteurs pour rendre la scène crédible et même après une restauration, le Brachiosaure est absolument immonde sur le grand écran blanc. Alors le doute, ce vieux compagnon de routine s'installe, insidieusement : le film aurait-il vieilli ? Ne serait-il plus à la hauteur ? Toute la puissance du film se limiterait-elle finalement à son ouverture ?!?
C'est l’œil larmoyant de sang et le front humide que je replonge dans la projection. Le débat de fond reprend sur des considérations philosophiques immémoriales concernant la domination de l'homme sur la nature. Plaît-il ? J'en fait trop ? Pour te convaincre jeune lecteur ébahi au regard à faire pâlir un merlan frit, je te donnerais seulement une citation de René Descartes, tirée du Discours de la méthode de 1637 : les hommes parviendront à se "rendre comme maîtres et possesseurs de la nature" lorsqu'ils auront acquis le savoir grâce à la pratique de la science, notamment la physique. Et que vient de faire John Hammond si ce n'est chercher à se rendre maître et possesseur de la nature en menant des expériences génétiques, enfin en se prenant pour Dieu le père ?
Mais je t'entends bien, vieux lecteur attentif et gracile dont les verres de lunettes en cul de bouteille ferrait pâlir un Château Lafite millésime 73 : Descartes a affirmé se rendre "comme" maître et possesseur : c'est ainsi que Hammond, aveuglé par son projet titanesque, n'a pas vu l'essentiel : l'homme ne peut pas être maître et possesseur de la nature, il ne peut que faire comme si.
Mais c'en est assez des digressions. La caméra virevolte pour offrir les plus beaux plans qu'elle est en mesure de donner, la mise en scène est soignée, et si les personnages sont parfois trop attendus (Bonjour, je suis avocat, je représente les actionnaires, qui n'avait pas deviné que je serais le premier à mourir ?), la structure même du scénario et l'accompagnement magistral de John Williams pallient largement à ce manque.
Mais ce qui en impose le plus dans ce film, c'est son atmosphère. Cette atmosphère moite, dense, qui colle votre chemise à votre peau, vous fait suer à grosses gouttes : presque rien n'est montré, tout est dans la suggestion, dans l'immense pouvoir du hors-champ et de l'invisible. Car les moments où les dinosaures sont les plus effrayants, c'est lorsqu'on ne les voit pas, ou que l'on ne voit pas ce qu'ils sont en train de faire (enfermés dans une cage au début, refusant de bouffer une chèvre au milieu, dévorant un malheureux mais compétent garde-chasse kényan à la fin). A l'instar d'un Jaws, la peur et le frisson sont dans l'évocation.
Et ce qui fait la majesté du film, malgré tout, malgré les peurs dues aux images de synthèse (qui sont finalement infondées je vous rassure, le film a mieux vieilli que certains films de 2014, pour dire), ce sont bien évidemment les dinosaures. D'abord adulés, ensuite craints, parfois appréciés mais finalement respectés pour ce qu'ils sont : des êtres vivants, pas juste des millions de dollars dans un parc d'attraction génétique. Une scène est particulièrement révélatrice de ce point de vue, celle des Galliminus : on les observe, en les dominant du haut de la colline ; soudain, ils changent de direction, et ses petits êtres qui avaient l'air si petits et si charmants font deux fois la taille d'un homme et sont en réalité aussi dangereux que tous les autres dinosaures. Mais l'homme, habitué à regarder les animaux à travers les barreaux d'une cage ou un écran de télé captant ARTE pour les moins téméraires, ne réalise pas ce qu'il a devant lui, l'espèce majestueuse qui domine désormais Isla Nublar.
Et alors que tout semble perdu, que l'homme va retourner à son état de simple mortel, deus ex machina : l'homme en profite pour fuir sa "création", mortifié à l'idée de son arrogance. Les rêves d'enfants sont de grands rêves, mais des rêves avant tout, et l'on peut dire qu'avec Jurassic Park, Spielberg a été le plus grand des enfants rêveurs.
P.S. : hey les mecs, psst, oui vous là, les réalisateurs Marvel : revisionner Jurassic Park et la prochaine fois vous nous pondez des effets visuels dans lesquels on décèle pas le fond vert, d'accord ?
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Créée
le 13 sept. 2015
Critique lue 391 fois
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