Pour commencer, je tiens à dire que je n'ai pas vu la version d'une heure et vingt-six minutes, mais celle, sans aucun cut, d'une heure et trente minutes. Cela peut sembler insignifiant, mais après avoir lu ce que je m'apprête à vous raconter, on comprend que ces quatre minutes supplémentaires sont sans doute les plus horribles de l'histoire du cinéma. Je préfère prévenir immédiatement : que ceux qui n'ont pas vu le film cessent de lire, et que ceux qui sont sensibles (sans rire, si vous êtes ne serait-ce qu'un minimum sensible) arrêtez instamment de lire. Bon, je vous aurais prévenu.
Je n'exagère pas en disant cela, ce film est pour moi (et pourtant j'ai vu quand même pas mal de films ultra-violents, tant physiquement que psychologiquement) le film le plus horrible de l'histoire du cinéma. Pourquoi ? Parce qu'il part du principe, simple en apparence, que le cinéma peut tout montrer. C'est ainsi que l'on assiste à la mise à mort d'animaux, nombreux, et à chaque fois de manière plus inepte : tout commence avec un rat, décapité lentement dans un long plan (presque une minute) avec un couteau tout sauf aiguisé. Viennent ensuite dans le désordre un singe qui subit ni plus ni moins qu'une trépanation, une araignée qui se fait déchiquetée, un serpent haché et une tortue qui se fait dépecer. Littéralement. Face caméra, en gros plan, les acteurs "jouant" avec la tête détachée du corps de l'animal pendant plusieurs minutes (une scène qui, pour le coup l'expression est tout sauf un euphémisme, dure plus qu'une éternité). Sur le tournage et d'après les témoignages, les acteurs ont été poussés à bout par le réalisateur qui se comportait de manière abjecte tant avec les acteurs blancs qu'avec les indiens locaux (le tournage se déroula en Colombie).
Mais pourquoi grand Dieu regarder ce film s'il n'est qu'un gargouillis tressaillant d'entrailles exposées crûment à la lumière vindicative d'une caméra lorgnant l'ignominie ? Parce que ce film répond à la question qu'il se pose : oui, on peut tout montrer au cinéma, absolument tout.
Et partant, ce film est une critique au vitriol du voyeurisme et de la violence au cinéma, tant dans le documentaire que dans la fiction. Dans le documentaire d'abord, parce qu'au sein de l'intrigue, les jeunes allant tourner un documentaire vont commettre des atrocités barbares, des mises en scène macabres
(la femme empalée sur une des affiches est en réalité empalée par l'équipe de tournage du documentaire)
dans le seul but d'être célèbres et riches. Cette dénonciation est équivoque et contextuelle : dans la fin des années 70, l'Italie (pays d'origine du réalisateur) est en proie à une vague de meurtres mafieux retranscris à chaque fois de manière plus macabre par les médias, n'hésitant pas à montrer du sang plus qu'il n'en faut. Dans la fiction ensuite, parce qu'on en arrive à un point où l'on se dit : "Heureusement, c'est une fiction, aucun acteur n'a été torturé sur le film". Le soucis est qu'en réalité comme je l'ai dit, tous les animaux sont vraiment mis à mort et que les acteurs se sont tous plaints de l'acharnement du réalisateur. Et c'est là où le film a le plus d'impact selon moi, car quand on va voir Cannibal Holocaust, on ne peut pas se dire "Ouf, c'est une fiction", parce que c'est réel. C'est une sorte de pied-de-nez macabre du réalisateur : "Tiens spectateur avide de sang, tu en veux ? En voilà du vrai !"
Par ailleurs, on sent bien le cinéma bis influencer le film : la photo est mauvaise (mis à part quelques plans d'ensemble montrant l'immensité de la forêt), les moyens sont faibles (le montage est assez chaotique, la mise en scène plus que moyenne).
Pourtant, pour toutes ces raisons, Cannibal Holocaust est intéressant cinématographiquement parlant. Il impacte le spectateur dans sa position, le réalisateur dans la sienne. Néanmoins, il reste qu'un tel film ne pourrait pas être tourné aujourd'hui, notamment pour les scènes les plus horribles avec les animaux et qu'il ne doit surtout pas être mis entre toutes les mains. C'est aussi pourquoi le film est un véritable tiraillement selon moi, entre d'un côté le soulagement de savoir que de telles atrocités ne peuvent plus être autorisées pour un film, et, malgré tout, la possibilité de voir tout ce que le cinéma peut faire de plus malsain. Si l'on doit retenir une leçon, en tant que spectateur, de ce film c'est celle-ci : ne cherchez pas qui sont vraiment les cannibales. Nous sommes tous des cannibales.