La jungle, comme tombeau de l'humanité
Cannibal Holocaust. Le fameux Cannibal Holocaust. Le genre de film fascinant de par sa réputation qu’on n’ose pas forcément regarder par peur de l’extrémisme de la proposition de cinéma qu’on nous prédit. On le visionne avec une petite pointe d’anxiété tant tout ce qui a été dit sur le film peut rebuter. Surtout quand on est un profane du genre cinématographique comme moi. Puis on se dit pourquoi pas, je me lance, au moins je l’aurai vu au moins une fois. Alors, oui, Cannibal Holocaust mérite bien sa réputation sulfureuse, rien que pour la scène de la longue et réelle éviscération d’une tortue, où tout un tas d’émotion nous viennent à l’esprit entre dégout et envie de s’en prendre physiquement aux protagonistes. Cannibal Holocaust est un film qui va loin, notamment dans sa deuxième partie où le professeur retrouvera la vidéo des quatre journalistes défunts. C’est un film qui matérialise nos fantasmes morbides sur l’étrangeté et la morbidité d’une jungle dévorante. L'inconnu, l'homme à l'état de nature, le questionnement sur l'humain, l'ethnocentrisme. Pari réussi.
Le plus troublant, outre l’aspect visuel gore et sexuel de la chose, c’est son propos novateur et atrocement intelligent. Ce n’est pas simplement juste une bobine qui voit s’affronter des gentils journalistes contre les méchants cannibales primitifs. Loin de là. Deodato y apporte son grain de sel subversif quoiqu’un peu hypocrite. Le sensationnalisme et la cruauté opportune de notre société symbolisée par les journalistes, assoiffés non pas par la chair fraiche, mais par cette information déshumanisée qui jouit de la violence du monde, quitte à la provoquer et la souiller. Deodato nous questionne sur l’utilisation de l’image entre fiction et réalité, sur la nature de nos civilisations, sur la différence entre l’information et le spectacle, la nature et la culture puis le dégout et la fascination. Mais derrière cette critique où se situe le réalisateur par rapport à ces journalistes crapuleux ? L’important pour les journalistes, ce n’est pas de s’entre aider ni de se sauver mais c’est de penser au film.
Lors de la première partie du film, on est en présence d’un indigène qui punit mortellement une femme pour adultère. Il la viole avec un énorme phallus puis la tue en la remplissant de terre avec des clous. La caméra se détache alors du point de vue du professeur et de son équipe cachés derrière un arbuste pour filmer la scène avec un montage frénétique au plus près du corps. Le réalisateur prend symboliquement la place des journalistes qu’ils critiquent plus tard dans le film. Quelle conclusion peut-on en tirer ? Difficile à dire. Cannibal Holocaust est en deux parties distinctes, une première partie, qui sert plus d’apéritif si je puis dire, réalisée de façon correcte et calme qui sert de point d’encrage pour nous faire tranquillement respirer l’atmosphère. Quatre reporters ont disparu alors une équipe va essayer de les retrouver, en vain.
Ils trouveront leurs carcasses et la vidéo témoin de leurs parcours mortels. Cinématographiquement, même si la réalisation peut s’avérer assez risible par moments, Cannibal Holocaust est impressionnant de réalisme. C’est la grande force du film, son environnement, ses indigènes habités, ce monde hors du temps. Cette grande forêt amazonienne est étouffante à l’image de ce plan d’ensemble chez les indigènes des « arbres ». On s’y croirait, l’asphyxie est présente. Puis la deuxième partie arrive, nous expliquant ce qu’il est arrivé aux journalistes. Le film dans le film. Une mise en abime terrible d’ambiguïté. La totalité est en found footage, le côté documentariste est privilégié. L’horreur s’empare de Cannibal Holocaust dans une frénésie fortuite et tétanisante. Eviscération, meurtre de bébé mort-né, viols, démembrement, castration.
Tout cela créé dans un réalisme horrifique et cinématographique percutant et bouleversant (l’horrible meurtre de la journaliste). Mais tout cela n’est jamais gratuit (mis à part les scènes voyant des animaux se faire réellement tuer), Cannibal Holocaust parvient avec intelligence à bousculer nos a priori. La sauvagerie de l’homme blanc dit « civilisé » n’est-elle pas aussi exécrable que celle des tribus primitives? Deodato construit un récit viscéral déplaçant sans cesse l’ordre de la morale et la civilisation, dans un final traumatisant psychologiquement devant l’impuissance voulue des journalistes filmant les meurtres ritualisés des leurs. Mais qui sacrifie qui ? L’homme blanc sacrifie son congénère pour la gloire. La réelle violence est là. Le visage de l'enfer n'est pas celui que l'on croit réellement.