Juré n°2
6.7
Juré n°2

Film de Clint Eastwood (2024)

Quand la quête de Vérité des "12 Hommes en colère" met en péril la Justice dans "Juré n°2"

Deux personnages, deux regards. Les yeux magnétiques de Juré numéro 8, incarné par Henry Fonda dans 12 Hommes en colère, sont d’un bleu perçant, intense, dont on devine la couleur même à travers le format noir et blanc de l'époque. Ce regard impose une aura de droiture et de certitude, incarnant une assurance calme et un sens de la justice inébranlable. À l’opposé, les yeux de Juré n°2, interprété par Nicholas Hoult, sont d’un bleu tout aussi profond, mais leur expression est bien différente : fuyants, marqués par le doute et la culpabilité. Là où Fonda soutient les regards, Hoult baisse les yeux, trahi par son propre tourment intérieur.


Ces deux regards incarnent toute la dualité entre ces hommes. Juré numéro 8 impose sa conviction morale avec une force tranquille, déterminé à faire éclater la vérité malgré l’opinion majoritaire. En revanche, le regard de Juré n°2 révèle un homme pris au piège de sa propre culpabilité, incapable de faire face à ses choix. Ces deux regards, pourtant similaires en couleur, incarnent deux visions opposées de la justice : l’un est guidé par l’intégrité, tandis que l’autre, rongé par le doute, manipule les autres pour se protéger.


L'héritage de 12 Hommes en colère revisité par Clint Eastwood

Juré n°2 puise dans l’héritage de 12 Hommes en colère, avec sa structure narrative et la dynamique des jurés, où se mêlent réticences, préjugés et jugements hâtifs. Mais ici, l’homme qui appelle à la réflexion est en réalité le véritable coupable.


Contrairement à Juré numéro 8, qui déconstruit les arguments biaisés de ses pairs, Clint Eastwood s’affranchit de la narration de Lumet en ajoutant une dimension de manipulation : son juré cherche à sauver un innocent tout en protégeant sa propre culpabilité.


Dans Juré n°2, la justice se trouve entre les mains d’un personnage aux motivations personnelles. Eastwood reprend les fondations de Lumet, mais détourne sa morale : là où Lumet fait de la vérité un rempart inébranlable contre les préjugés, Eastwood en expose les paradoxes et le danger lorsqu'elle devient un instrument partiel ou manipulé.


Quand la vérité menace la justice

Un des points centraux de Juré n°2 est de savoir si toute vérité est bonne à dire. Alors que la vérité devrait mener à la justice, ici, elle est nuancée par le fait que le juré est coupable. Eastwood pousse le spectateur à s’interroger : la vérité absolue garantit-elle toujours la justice ?


Dans 12 Hommes en colère, la fragilité et la pauvreté des preuves sont mises en lumière par un réexamen minutieux. Les éléments présentés sont contestés, déconstruits, révélant leur nature partiellement fondée, presque superficielle. Juré n°2 reprend cette approche avec des scènes visuellement appuyées, où les confrontations avec les témoins et les experts exposent leurs failles et la faiblesse de leurs témoignages. Cette similitude renforce l’idée que le système judiciaire repose souvent sur des bases fragiles, des témoignages motivés par des intérêts personnels, voire des désirs de reconnaissance.


Cette tension entre la vérité et la justice se reflète dans les institutions elles-mêmes, où les décisions et les biais des acteurs influencent les verdicts.


L’imperfection et la défaillance du système judiciaire

Le film va plus loin en montrant une justice influencée par ses propres failles et stéréotypes. Les policiers, pliant l’affaire sans chercher plus loin, et la procureure, pourtant professionnelle chevronnée du droit, se laissent tous deux emporter par leurs préjugés. Cette vision d’une justice biaisée révèle la rupture d’égalité au sein du système judiciaire.


Le personnage joué par Nicholas Hoult, en tant que juré « modèle » incarnant l’image d’un citoyen exemplaire, aurait probablement été acquitté. À l’inverse, l’accusé de Juré n°2 – un dealer de drogue, membre de gang – subit un traitement partial, simplement à cause de son apparence. Clint Eastwood, en mettant en lumière cette inégalité de traitement, s’inspire de Lumet, mais s’affranchit de sa vision factuelle en ajoutant une dimension sociale contemporaine.


La justice redéfinie : une scène clé face à Thémis

Dans une scène centrale, Juré n°2 et la procureure se retrouvent face à la statue de Thémis, symbole de la justice impartiale et aveugle. Cet échange est lourd de sens : là où Thémis représente une justice équilibrée, Juré n°2 essaie de la redéfinir en imposant une version personnelle, arguant que «la vérité ne rend pas nécessairement justice. » Il cherche à manipuler la procureure pour qu’elle laisse l’affaire en l’état, justifiant son acte en présentant l’accusé comme un homme dangereux, et donc « coupable par défaut. »


Cette scène expose la faillibilité morale de Juré n°2, qui réduit la justice à ses propres intérêts, tandis que la procureure, se confrontant à son propre manque d’impartialité, se rend compte qu’elle doit défendre les principes même des institutions, et que sa vision de la justice a été influencée par des biais qu’elle croyait maîtriser. Pour être garante d’une justice impartiale, elle réalise qu’elle doit s’affranchir de ses propres préjugés, même si cela risque de nuire à sa crédibilité et de mettre sa carrière en péril, après avoir envoyé injustement un homme innocent en prison.


Conclusion : La vérité est-elle toujours garante de justice ?

Juré n°2 nous invite à une réflexion profonde sur la nature même de la vérité et sur le rapport parfois complexe qu’elle entretient avec la justice. En s’inspirant de 12 Hommes en colère, Eastwood propose une vision nuancée où la vérité, bien qu’essentielle, ne garantit pas toujours une justice équitable. Si, dans le film de Lumet, la recherche de la vérité permet de sauver un innocent, Juré n°2 explore la possibilité que la vérité, révélée sans nuance, puisse au contraire conduire à une injustice.


Dans cette version contemporaine, la vérité devient un dilemme : révéler le véritable coupable – Juré n°2 lui-même – risquerait de sacrifier la vie de cet homme repentant, tout en exposant au grand jour les failles du système judiciaire. Eastwood questionne alors : la justice peut-elle être atteinte si elle est servie par une vérité brute, sans prise en compte des circonstances humaines et morales ?


Ce film suggère que la justice, pour être pleinement équitable, doit pouvoir faire preuve de discernement. Peut-on, en toute conscience, condamner une personne à perpétuité pour des actes qu’elle regrette amèrement et qu’elle n’a pas commis dans un élan de cruauté ? En posant cette question, Juré n°2 interroge le spectateur sur la véritable nature de la justice : est-elle simplement l’application stricte de la vérité, ou doit-elle être capable d’intégrer les motivations, les regrets, et l’humanité des individus concernés ?


Ainsi, Juré n°2 nous rappelle que la justice n'est jamais un concept figé, mais bien un idéal que l'humanité doit constamment poursuivre, remettre en question et affiner. En choisissant d'aborder cette thématique à ce stade de sa carrière, Clint Eastwood délivre un message puissant sur la nature humaine, la complexité de la moralité et l'importance de rester vigilant face aux injustices. La vérité factuelle peut révéler la culpabilité, mais elle ne prend pas en compte l’ensemble du parcours moral et émotionnel des individus. En explorant cette question, Eastwood nous pousse à réfléchir à une justice plus complète, où la vérité, bien qu'importante, est tempérée par l’indulgence et le discernement.


De Lumet à Eastwood, la justice passe de l’idéal immaculé au miroir de nos propres contradictions. Juré n°2 nous rappelle que cette quête est un équilibre fragile, où même la vérité doit parfois s'effacer pour préserver l'humain.

Nesrine1
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le 6 nov. 2024

Modifiée

le 6 nov. 2024

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Nesrine1

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