Quand j'ai lu le synopsis du film, après en avoir vu les bandes-annonces, je me suis écrié Juste ciel !
J'ai aussitôt vérifié qui était son réalisateur pour m'assurer que ce n'était pas mon oncle Henri. Mon oncle Henri était ce joyeux drille qui s'arrêtait net sous le porche d'une église ou d'un temple quand il avait décidé d'accompagner à sa dernière demeure un copain ou une connaissance. Il s'adossait alors contre un mur, croisait les bras, l'oeil mauvais et le sourire en coin, tout cela au vu et au su de tous et il attendait que cela se passe à l'intérieur de l'édifice pour rejoindre le cortège funéraire seulement à la fin de l'office religieux.
Parpaillot en diable, mais définitivement fâché avec les pasteurs, de confession luthérienne par naissance, mais adepte d'un syncrétisme religieux bien à lui, l'oncle Henri puisait dans les schismes, tous les schismes, une vraie légitimité pour étriller joyeusement le clergé catholique romain à qui il prêtait bien des turpitudes. Pour tout dire, il en tenait autant pour les rabbins, les imams et quiconque s'improvisait porte-voix d'Ecritures saintes dans le marbre gravées.
Mon oncle Henri était fâché avec Dieu, mais surtout avec ses représentants qu'il n'était pas loin de considérer comme des faux-culs et des vauriens. Sa relation avec celui en qui il refusait de voir son créateur était houleuse et complexe, et le fait d'être un alsacien éduqué sous régime concordataire n'arrangeait pas les choses et rendait toute discussion avec lui redoutable.
Juste ciel ! de Laurent Tirard raconte l'histoire plus vraie que nature de cinq religieuses. Mère Véronique joliment campée par Valérie Bonneton, Soeur Béatrice, Soeur Bernadette et Sœur Augustine vaillamment soutenues par Gwendoline, une apprentie nonne bien délurée, sont l'âme d'un Ehpad qui tombe en ruines et aurait besoin d'une sérieuse rénovation et même d'une solide réfection. Mais l'argent manque et les subventions se font rares car la vie est chère.
Il faut donc trouver une autre source de financement. Le hasard, les coïncidences et la volonté divine faisant souvent bien les choses, il se trouve qu'une course cycliste est prochainement organisée sur le territoire de la commune et cette course est richement dotée pour récompenser le vainqueur.
La première condition pour participer à une compétition cycliste, c'est de savoir faire du vélo et cette compétence fait cruellement défaut dans le couvent, sauf à Gwendoline, l'apprentie nonne délurée. Va pour Gwendoline dont les performances restent malgré tout bien en deçà de celles qui permettraient de battre sur la ligne d'arrivée une équipe entraînée par Monsieur Pierre/ François Morel.
Qu'à cela ne tienne, aux grands maux les grands remèdes ! Mère Valérie Bonneton organise la décimation du peloton adverse pour que ne restent en lice que ses propres championnes dont Gwendoline prendra facilement la tête, malgré ses maigres performances. De fait, Mère Véronique semble donner parfaitement raison à mon oncle Henri qui répète à qui veut l'entendre que si la perfidie et la rouerie sont bien de ce monde, leur pompon est toujours brandi par les curés, les bonnes sœurs et de manière générale les disciples les plus dévoués !
La vie est cependant faite d'impondérables et, même si le bon Dieu ne voit là qu'un moyen pour mettre ses ouailles à l'épreuve, il faut leur faire face. Voilà que débarque au couvent et réclame gîte et couvert une escouade de jeunes Soeurs à la démarche martiale menée par Mère Joséphine/ Sidse Babeth Knudsen. Mère Véronique et Mère Joséphine sont de vieilles connaissances dont la féroce rivalité remonte au cours moyen, sinon à la maternelle. On peut être Soeurs, Mères et tout ce que vous voudrez et n'en être pas moins des êtres humains avec toutes leurs passions que le vœu de sainteté apaise à peine. Une fois encore, Laurent Tirard apporte de l'eau au moulin de mon oncle Henri en montrant deux Mères, certes unies dans l'amour de Dieu, mais férocement concurrentes pour gagner la compétition à venir.
Si Mère Véronique a un Ehpad à rénover, Mère Joséphine a un groupe de délinquants en réinsertion à financer ! En filigrane, un autre enjeu de la course cycliste se dessine ; il est de taille et aucun croyant adepte du catholicisme romain digne de ce nom ne peut l'appréhender dans l'indifférence. Le Père abbé, qui supervise tout ce qui croit dans la paroisse et à l'entour, a promis à la coach gagnante un voyage à Rome et une inévitable rencontre avec le Saint-Père. Je devine l'oncle Henri adossé au mur du couvent, le sourire en coin et l'oeil encore plus mauvais que d'habitude quand il a entendu cela.
Mère Véronique recrute Monsieur Pierre, l'entraîneur désoeuvré du peloton concurrent par elle précédemment décimé, et lui demande d'entraîner Gwendoline pour rabattre son caquet à l'autre Mère qui est venue piétiner ses plates bandes. De coup bas en coup fourré, Gwendoline puis l'escouade surentraînée des amazones célestes déclarent forfait et contraignent François Ruffin et Emmanuel Macron, eux-mêmes condisciples autrefois à...enfin je veux parler des deux Mères supérieures, pas des labadens de la Providence d'Amiens...à concourir elles-mêmes.
Mon oncle s'esclaffe (il s'esclaffe même de rire, pour rendre hommage à son pléonasme préféré) ; les deux Mères vont toujours au-delà de ce que sa légendaire perfidie exprime dès qu'il aborde les nombreuses qualités des gens d'église.
Je dois dire que j'ai moi-même beaucoup souri pendant le film et qu'en sortant de la salle j'étais d'une humeur plutôt joyeuse. J'ai ri de ce que je voyais sur l'écran, j'ai ri également de ce que j'entendais en provenance de la rangée de fauteuils derrière moi occupée par une jolie brochette de cinq paroissiennes aux cheveux gris qui commentaient de bon cœur.
J'ai ri une troisième fois. Convenez-en, ce n'est pas chose courante de rire pour trois raisons différentes dans un même film, surtout quand celui-ci ne casse pas vraiment les pattes à un canard.
Au début de la projection , Sœur Béatrice/ Guilaine Londez faisait du jardinage et s'avisait qu'au milieu de la pelouse avait poussé une fleur qui pour elle était un Edelweiss, ce qui à cette altitude tient...du miracle. Elle a aussitôt alerté, après une course échevelée malgré sa cornette simplifiée, ses Soeurs et leur Mère supérieure à toutes. Bernadette/ Claire Nadeau, la plus émouvante d'entre elles, est muette et ne communique que par ardoise Velleda et stabilo effaçable. Nous apprendrons plus tard qu'elle a simplement complété son vœu de chasteté d'un vœu de silence auquel elle décidera de manière inexpliquée de mettre fin (je parle du second vœu). Soeur Augustine/ Camille Chamoux est une ancienne Biker reconvertie dans les affaires saintes, même si elle conserve de beaux restes de sa vie antérieure.
Les trois premières et longues minutes du film sont en cinéma muet, nous devinions tout, mais n'entendions rien si ce n'est la bande musicale dans laquelle j'ai cru reconnaître celle de Empire of light de Sam Mendez qui était projeté dans une salle voisine, ce qui faisait du choix musical un étrange mélange de genres. Les paroissiennes du fond ne mouftaient pas, pensant probablement avoir affaire à un ordre contemplatif dans sa phase vœu de silence, ce d'autant plus que Soeur Velleda brandissait son ardoise pour s'exprimer.
En sortant de la salle, Soeur Elisabeth s'était fait remplacer à la billetterie par Soeur Manon qui de ce fait ne pouvait pas connaître de l'incident de projection précédemment évoqué. Comme le doute ne m'effleurait pas encore, je me suis contenté de lui souhaiter une agréable soirée. C'est en voiture, sur le chemin de retour qu'il m'a assailli (je parle du doute)...Et si tout simplement la partie cinéma muet ne relevait pas d'un moment d'égarement du projectionniste et n'était qu'une forme d'humour en klein d'oeil du réalisateur à Soeur Bernadette ? Je vois déjà se profiler une quatrième occasion de rire quand j'aurai élucidé l'affaire. De rire de moi pour cette foi !
La question est maintenant de savoir quelle est la nature exacte de Juste Ciel ! Laurent Tirard est-il un vil blasphémateur, ce que la présence de François Morel pourrait presque attester, tant ce dernier n'a jamais la langue dans sa poche et ne peut s'empêcher de jubiler quand il demande au Père Abbé s'il a également une papamobile pour se lancer dans la foulée dans une judicieuse étude comparée entre la Kangoo et le véhicule de service de sa Sainteté le pape. Lui-même ne verrait que des avantages à ce que le pape François se dote du célèbre véhicule semi-utilitaire fabriqué chez Renault car il pourrait emmener ainsi ses cardinaux en promenade.
Dans tous les cas, Laurent Tirard et ses complices ne peuvent que nous réconcilier avec les petites joies du blasphème qui ne manquent de respect à personne et montrent surtout qu'on peut faire appel à l'humour même pour parler de religion et de religieux. Et je me rappelle soudain, avec plaisir et satisfaction, que les meilleures histoires sur le communisme m'ont été racontées par des militants communistes, que les meilleures histoires juives sont racontées par les juifs. Il y a des communistes, de juifs, des catholiques et des protestants qui ont de l'humour même si ce n'est pas l'apanage de tous.
L'universitaire strasbourgeois Freddy Raphaël nous rapporte quelques perles dans son livre « Rire pour réparer le monde-l'humour des juifs d'Alsace et de Lorraine » publié aux Editions de la Nuée bleue. Charlie Hebdo avait fait une première sur le prophète de l'Islam nous faisant part doctement combien il était dur d'être aimé par des cons. Il semblerait malheureusement que beaucoup n'aient pas apprécié du tout, tant ils ont été pris d'une grande nervosité et d'une extrême agitation.