Une demi heure que j'écris une ligne et que je l'efface pour commencer cette chronique. Il m'est difficile de mettre des mots sur ce film tant il est beau. Tout est sublimé. Les visages, les sourires, les regards, les personnages, le texte de Lagarce.
Cinq personnages, un huis clos, une telle force et une telle tension, et pourtant "c'est juste un repas en famille, c'est pas la fin du monde". Et pourtant ! Dolan met des mots sur la complexité de la famille, cet ensemble de personnes qui se rassemble par des liens du sang. Pourquoi s'obstine-t-on à se rencontrer si l'on n'a rien en commun ? Doit-on tout dire à ses proches même après une longue absence ? C'est pourtant simple, on confie tout à sa famille. Ce n'est que la théorie. Louis, le personnage principal incarné par Gaspard Ulliel revient dans sa famille après 12 ans d'absence pour annoncer sa mort prochaine. Au premier abord vous vous dites : super, ça va pas être rigolo. Dire que ça l'est serait mensonger, mais j'en suis sortie bouleversée.
Dolan dans Juste la fin du monde appuie sur ces relations complexes qui constituent la famille : les mensonges, le manque, la tristesse et les non-dits. Revenons justement sur les non-dits. Ces derniers constituent une partie conséquente des 1h40 de film : parfois des regards, une lumière chaude, un champ contre-champ laissant percevoir une larme discrète mais perceptible à travers l'éclairage brun caractéristique du film.
Dans cette famille, les liens sont un éternel rapport de force, on en arrive parfois aux mains. Pourtant, Dolan arrive à rendre la tension d'un regard plus puissant et grave qu'un poing dans la gueule. L'étude des personnages est fouillée, précise, presque chirurgicale, si bien que l'on comprend beaucoup d'éléments sur l'histoire des personnages par de simples regards.
Par exemple, le secret de la mort prochaine de Louis est rapidement découvert par Catherine (Marion Cotillard), qui n'est pourtant que sa belle soeur : donc pas de la même famille. Le spectateur ne comprend cette découverte que par un échange soutenu de regards des deux personnages. Pas de texte cherchant à souligner et surligner, pas de musique mélodramaticopatos insinuant que "ouais vous avez vu les gars c'est le seul personnage qui a compris qu'il allait mourir !" Cette performance est rare, belle et surtout simple. Dolan ne cherche pas à remplir son film d'artifices ou à en faire des caisses. Ce dernier est constitué à 98 % de gros plans champ contre champ, ce qui est clairement un défi pour ne pas que le spectateur sombre dans l'ennui. Ici, chaque expression est savamment filmée, impulsant une rythmique dans ce film qui peut paraître lourd de prime abord. Cette mise en scène pénétrante voire intrusive nous invite à la même table familiale et au même plan que Louis : c'est à dire spectateur de cette famille.
Juste la fin du monde fait parti de ces films rares où les relations familiales ne virent pas en mélodrame pathétique. On pleure parce qu'on a envie de pleurer, parce qu'un gros plan sur une bouche, un regard ou la souplesse d'un rideau dans le vent fait parti de ces détails insignifiants que le cinéma sait parfois sublimer et par conséquent nous bouleverser.
Je n'ai qu'une chose à dire : chapeau bas ; surtout quand on arrive à caser magnifiquement bien Dragostea Din Tei de O-Zone dans un des plus beaux passages du film ... Je défie quiconque d'y arriver !