Dire en revoir, Savoir dire en revoir, Oser dire en revoir.
Juste la fin du monde aborde le thème de l’impossible adieu en le mettant en perspective avec celui de l’absence. On peut tout reprocher à l’absent, on ne peut rien opposer à celui qui ne peut plus revenir. C’est peut être ce que Louis a compris en décidant de revenir 12 ans plus tard chez ceux qu’il avait décidé de quitter. Cette famille qui prend beaucoup de place, avec laquelle il n’a plus vraiment de points communs si ce n’est des souvenirs qui ont nourri, chez ceux qui l’attendent, des fantasmes, des espérances, des rancœurs aussi et des attentes. L’attente est d’ailleurs telle que le retour ne peut pas être simple. Car au fond, face à cette famille dont il s’est émancipé depuis longtemps, dont il n’est plus vraiment proche et pour laquelle il nourrirait presque du désintérêt, Louis aurait pu, du, su se retirer froidement, calmement, avec distance. Il aurait d’ailleurs pu envoyer une carte postale de 3 lignes, comme il en a l’habitude. Mais cette fois-ci, il sent qu’il doit donner une explication, qu’il doit faire ce dernier effort pour eux et finalement aussi pour lui, peut être pour se rappeler pourquoi il a fait ce choix de fuite et d'exil.
Aborder ce thème à l’écran n’est pas simple car Xavier Dolan doit mettre en scène des non-dits. La parole n’est qu’un masque social pour permettre à ces personnages de ne pas rompre un équilibre fragile de normalité. Personne n’est dupe des sentiments des uns et des autres : curiosité pour la sœur, excitation angoissée pour la mère qui voit en ce fils lointain une figure paternel perdu, colère et frustration pour le frère qui se sent juger par le nouveau venu. C’est pourquoi, autour d’un Gaspard Ulliel mutique, on entend beaucoup de bruits: Nathalie Baye surjoue la drama queen sortie d’une Comedia dell Arte ou d’une mauvaise série B, Léa Seydoux se construit un personnage de jeune sœur mature face à ce grand frère qui est parti quand elle était encore une toute petite fille et Vincent Cassel choisit la carte du désintérêt pour ne pas reprocher trop violemment à ce frère, dont il était si proche, d’être devenu un étranger. Cette mascarade empêche une confrontation trop brutale avec le réel : il faut à la fois ne pas entacher les quelques "beaux" souvenirs de complicité familiale mais également s’intéresser à un quotidien dont on ne fait plus parti et qui a construit son équilibre dans l’absence d’un de ses anciens membres.
Mais les masques tombent dès lors que l’échange devient, si ce n’est plus intime, du moins individuel.
Face à chacun d’eux pourtant, une droguée désœuvrée, une mère seule, un frère en colère, la parole ne se libère pas davantage. Car que ce soit en groupe ou en duo, personne ne s’écoute.
L’aveu est finalement reçu par le seul personnage inconnu de Louis : Catherine, sa belle sœur, qui n’était pas encore dans la famille au moment de son départ. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une confession verbalisée mais d’un échange silencieux. Catherine comprend instinctivement ce qui se passe ou va se passer. Il y a dans le jeu de regards de ces deux personnages silencieux une connivence un peu morbide. Ils s’accordent d’ailleurs pour ne pas se dire cette vérité qu’ils partagent et doit rester dans la sphère de l’intime. Catherine devient ainsi plus proche à Louis que sa propre mère, qu’il ne peut serrer dans ses bras sans garder un certain détachement, ou sa sœur, dont il ne se sent pas proche et à laquelle il décide de ne dire que ce qu’elle a envie d’entendre.
Pour son frère Antoine, c’est encore autre chose. Louis souhaiterait recréer une complicité que ce dernier lui refuse car on sent qu’il a trop souffert de ce départ, de cette absence mais aussi de cette perte nouvelle qu’il pressent dans les derniers instants de ce déjeuner où Louis comprend que l’inéluctable est arrivé et qu’il faut donc accélérer l’adieu pour éviter de confronter sa famille à une nouvelle perte qu’ils ne seront pas apprivoiser.
Il ne dira donc rien, il part d’ailleurs seul. Ces deux doigts sur la bouche qui intiment à Catherine de rester silencieuse, clos un débat intime qu’il a finalement décidé de trancher par une nouvelle fuite.
Ce n’est pas la fin du monde finalement, juste la fin d’une vie.