12 ans que Louis n’est pas retourné dans sa famille, 12 ans…il devait avoir une très bonne raison pour revenir, quelque chose à annoncer. Autour d’un repas dominical, une fratrie se retrouve au complet comme c’est le cas de beaucoup d’autres familles ; à ceci près que Louis fait l’effet d’un revenant à tout le monde compte tenu de sa longue absence. D’ailleurs n’en-est-il pas déjà un, de revenant? Quand la mère et Antoine, son frère, semblent le connaître par cœur, d’autres le découvrent comme sa belle sœur Catherine et sa sœur cadette Suzanne. Beaucoup de choses à se dire et de temps à rattraper donc. Pourtant c’est autour des non-dits que se construit ce huis clos. Les flots de paroles, les exubérances de la mère, ou les vains efforts de conversation, ne masquent pas la tension latente. Ici, les personnages parlent de tout sauf de l’essentiel : ils ne parlent pas de ce qu’ils ressentent et ils n’évoquent pas la raison du retour de Louis.
La force du film est sans aucun doute de nous montrer cette difficulté à communiquer. Ainsi Catherine, dans son usage maladroit de la parole, se fait-elle l’écho de la Suzanne Clément balbutiante de Mommy. Malgré cela, c’est le personnage qui paraît le plus sincère. Celle-là même qui est la plus étrangère à Louis devient alors la seule personne capable de le voir réellement et de détenir son secret. Finalement on se comprend et on échange davantage par le regard dans cette maison comme le soulignent les passages filmés en gros plans au plus près de l’émotion de chacun.
Ce film met en lumière le poids des relations familiales et d’une histoire commune. L’amertume assumée des uns et des autres face à un fils, un frère, qui les a abandonnés tant d’années. Les personnages assument leur côté « abrupt » et usent des mots comme d’un bouclier. « Pourquoi t’es là ? » ne cessent-ils de demander à Louis. Un foyer, une communauté de personnes issues du même cadre qui ne se comprennent pas, se sont étrangères face à des liens pourtant infaillibles comme celui de l’amour maternel. Toute l’intrigue est portée par ces acteurs superbes et bouleversants. Chacun est à sa place et tous savent faire vivre les sentiments refoulés, l’émotion enfouie, la rancœur aussi. Face à un Gaspard Ulliel en contre-point, omniprésent, silencieux, mais qui parvient à tout faire passer d’un simple regard. Condamné au mutisme, il reçoit les logorrhées, les confidences et les reproches. Du temps, il en a à rattraper, mais Louis en manque justement. Au rythme régulier de l’horloge la journée défile, les heures passent et sous cet amoncellement de paroles, Louis étouffe, est oppressé.
Dans Juste la fin du monde, on retrouve le goût de Dolan pour les histoires de familles violentes, brutales mais toujours empruntes de nostalgie. On reconnaît la touche d’un réalisateur-poète qui parvient à dépeindre la beauté de l’existence par l’intermédiaire de flash back toujours accompagnés d’une bande son parfaitement choisie et de mouvements de caméras subtiles. A travers Louis on s’évade, on part dans ses rêveries dans une maison où personne ne l’écoute par peur d’entendre ce qu’il a à dire.
Très belle adaptation.