Censé être le point d'orgue de la saga épique initié par Zack Snyder, Justice League est une immense déception, pas seulement comme film mais surtout comme trahison d’une des plus intelligentes et des plus exigeantes interprétations de super-héros que l'on était en droit d'attendre depuis Watchmen !
En effet, bien que Batman v Superman soit un film imparfait, il proposait des pistes de réflexion fascinantes pour peu de prendre le temps d’y réfléchir. Ainsi, en plus d’une vision baroque et proprement mythologique de ses héros, le film invitait à réfléchir sur le caractère intrinsèquement fascisant du concept de Dieu ou bien encore sur la crainte existentielle provoquée par une telle altérité. En bref, un récit foisonnant de symboliques et de conceptions philosophiques sur la nature de la figure du super-héros. Ce qu’a compris Snyder, c’est la nature profondément allégorique et mythologique du comics, le plaçant dans la continuité d’une mythologie antique ou biblique.
Mais cette passionnante vision que l’on doit à Zack Snyder, ainsi que son travail antérieur sur Watchmen, est passée à la moulinette d’un studio pour qui Snyder, c’est le ralenti, le ralenti et encore le ralenti ! On ne reviendra pas ici sur le chaos en coulisse de ce Justice League mais il apparaît clairement que ce n’est pas un film de Snyder, tout juste un collage ridicule de la manière dont le public perçoit ce dernier. Reste que l’on peut alors se demander en quoi Justice League semble un film qui n’a pas compris la portée mythologique de ces héros, qui n’a pas saisi le caractère transcendantal de leur symbolique. Petite précision avant de commencer : ça va spoiler !
Un enfant filme Superman sur son smartphone; le cadre est étroit, l’image de mauvaise qualité. Dès les premières images, Justice League nous prévient : il ne sera pas le pinacle grandiose du DCEU mais une petite aventure inconséquente. Ce qui s’opère aussi dans cette scène, c’est la volonté de désacraliser les figures héroïques, de les ramener au niveau du trivial. Ils sont pris dans un cadre qui les ramène en simple figure à admirer et non plus comme incarnation de questionnements. Ainsi, Superman n’est plus une parabole biblique, portant l’interrogation et la terreur existentielles d’une humanité face à une remise en question de ses certitudes spirituelles et scientifiques, mais un boy scout sauvant la veuve et l’orphelin en souriant. C’est ce processus qui présidera tout le film en nous montrant des super-(z)héros et non plus des mythes porteurs de sens.
Néanmoins, on peut sentir où le film aurait voulu aller dans la tête de Snyder. En effet, il est probable que la question du deuil ici traitée par-dessus la jambe était au centre de son film. Pour s’en convaincre, il suffit de voir en quoi la résurrection de Superman est une péripétie comme une autre alors qu’un tel événement aurait du être un fait majeur ! En effet, tous les personnages sont dans une mécanique de deuil : Wonder Woman porte celui de Steve Trevor, Batman celui de Lois et Martha celui de Superman, ou encore Cyborg celui de son intégrité corporelle et spirituelle. Tout cela est évoqué mais n’est jamais traité, jamais questionné et, pour seule réponse à des questions aussi existentielles, on nous sert une vague notion d’union qui fait la force...
L’union des héros est d’ailleurs un des problèmes principaux du film, les personnages apparaissant comme un patchwork d’esquisses grossières. Si l’on prend l’exemple de Flash, son dilemme n’est évoqué que dans deux scènes qui présentent ce dernier de manière frontale. Autrement dit, à aucun moment les dilemmes des héros n’influent réellement sur l’histoire; à aucun moment la petite histoire ne rencontre la grande alors que le dilemme du héros constituait jusqu’ici la grande histoire. Le film n’est donc qu’une suite de péripéties qui jamais n’essaieront de sortir du cadre étroit de la scène en cours. Un récit en pilotage automatique qui empile les scènes sans jamais chercher à s’interroger sur sa nature si bien que cette absence de recul donne au film une aura ridicule au possible tout simplement car on ne croit à aucun moment en ces héros.
De plus, ette absence de crédulité n’est pas aidée par les acteurs qui, ayant très bien compris que le navire sombrait, ne font plus le moindre effort. En cela, Ben Affleck est remarquable tant, à chaque scène, il semble lancer un appel à l’aide pour que quelqu’un le sorte de cette galère. On voit ici que la question de la croyance est primordiale car les cols blancs derrière le film ne croit en aucun moment en leur propre univers. Pire, ils le méprisent en refusant une lecture philosophique et profonde qui, pourtant, a toute sa place tant les récits de super-héros peuvent être de puissants mythes didactiques.
Cependant, le summum de ce mépris arrive avec la bande-originale de Danny Elfman qui est un pur aveu d’échec ! En effet, en reprenant les thèmes musicaux du Batman de Burton et du Superman de Donner tout en jetant à la poubelle les morceaux hérités de Man of Steel et Batman v Superman, le film nous dit indubitablement qu’il ne croit pas en ce qu’il crée, cherchant à jouer sur la nostalgie dans un geste pathétique. Pire, cette musique symbolise tout le mouvement de reniement du DCEU, une volonté de revenir à un récit passéiste où le héros était un être monolithique et basique ! Il faut d’ailleurs préciser que les autres compositions sont anecdotiques au possible et qu’en plus, les anciens thèmes sont utilisés n’importe comment. On pense notamment au thème de Superman au moment de sa résurrection n’ayant aucun sens. Bref, le film se désagrège de toutes parts et ce n’est pas son aspect visuel qui arrange les choses.
On peut critiquer la mise en scène de Snyder mais, au moins, elle réfléchissait à l’iconisation du mythe avec des mouvements de caméra amples qui avaient du mal à suivre ces surhommes ou bien avec une construction clairement picturale des plans renvoyant à des oeuvres de Ruben ou Lievens, notamment dans sa gestion de la lumière. Ici, la réalisation se contente de ralentis ou bien de contre-plongées affreusement clichés pour saisir les héros. Encore une fois, ce parti pris affaiblit considérablement la portée et la puissance épique du récit, rendant le tout finalement très banal. Il faut bien le dire : le film donne une impression de ringardise assez prégnante sur tous les tableaux. Le ralenti pour souligner la vitesse de Flash a déjà été largement mieux réalisé dans X-Men : Days of Future Past et Avengers premier du nom déroulait de manière bien plus convaincante son récit avec le même canevas...
L’histoire transpire la paresse à tous les niveaux, les Mother Boxes étant des McGuffin comme on ne pensait plus en voir au cinéma. Qui plus est, le film ne comprend même pas comment construire un arc narratif simple, ce qui est encore plus grave. En effet, si l’on reprend l’exemple d’Avengers, un peu un cas d’école, la structure classique en trois temps pour ce genre de film est la création d’une équipe, une crise qui fragmente cette dernière avant la réunification d’un groupe plus homogène et puissant. Justice League ne propose même pas ce sentiment d’accomplissement au spectateur, pourtant basique en écriture. En effet, l’équipe n’apprend rien entre sa formation et le combat final étant donné que Superman résout le problème à lui tout seul. En somme, le film réussit à être si bâclé que sa structure contredit complètement son propos initial d’union qui fait la force puisque Superman n’a pas besoin de la ligue.
Et c’est là que le bât blesse : on pourrait après tout se convaincre de prendre ce Justice League pour un divertissement sans prétention mais il n’arrive même pas à l’être ! La faute à des héros sans substance et une équipe qui crie son artificialité à chaque plan mais aussi à un rythme plat qui déroule sa routine comme on ferait ses devoirs. Le film est une pure coquille vide sans ampleur, sans vision, un film de studio dans le pire sens du terme en ce qu’il aligne des clichés, faits mille fois mieux ailleurs sans le moindre soucis de cohérence, et donc synonyme d'un profond ennui pour le spectateur. A ce titre, Steppenwolf fait figure de parfait exemple. Il est parfaitement inexistant tant et si bien que l’on ne ressent à aucun moment la menace pour le monde. Le pire étant le choix de situer le climax dans une simili-Tchernobyl dont on a l’impression qu’elle est habitée par une seule famille, ce qui, comme enjeu, ne fait pas lourd... Vous en conviendrez !
Et c’est là le dernier problème du film : il n’a aucun enjeu, un peu à la manière d’un Suicide Squad ! Il faut d’ailleurs préciser que la manière dont la famille russe est créée comme pure accroche émotionnelle en prévision du climax est lamentable. C’est le sentiment qui ne m’a pas quitté de tout le film, cette sensation d’un univers factice jusque dans sa moëlle. A aucun moment le récit n’apparait organique ou même juste vivant. Justice League est construit comme un enchaînement obsolète et racoleur sans vision. C’est finalement avec le coeur lourd qu’en sortant de la salle, on se dit que l’on est passé d’un film visionnaire et très audacieux à un produit médiocre et dépassé depuis des décennies. Néanmoins, reste une faible lueur d'espoir à l'horizon : l'espoir d'un Snyder cut rendant le film cohérent et qui peut être crédibilisé par le nombre de plans des bandes-annonces absents du film et les reshoots massifs. Mais il serait étonnant que Snyder décide de se replonger dans le film donc il va falloir faire son deuil.
Pour conclure, Justice League est donc une catastrophe car, en plus d’être une trahison de la direction prise depuis Man of Steel par cet univers, il ne réussit même pas à constituer un film correct de super-héros, se prenant les pieds dans le tapis pour des choses pourtant basiques. C’est ce qui arrive quand la passion et la foi s’éteignent pour son sujet mais, bon, quand on voit comment sont reçues ces dernières, on se dit que ce n’est peut-être pas les héros dont l’on a besoin mais ceux que l’on mérite. Cachez sous le tapis cette complexité du monde que je ne saurais voir !