Son nom est Jean-Luc Godard. Aussi adulé que craint, il est une légende... mais tous les hommes sont-ils faits pour l'être ?


 Le Redoutable est un sous-marin mais pas n’importe lequel : un sous-marin nucléaire lanceur d’engins du même acabit. En soi, une révolution et un symbole du triomphe de De Gaulle pour qui le nucléaire était pour le moins une marotte ! Mais si, vous savez : la grandeur de la France, tout ça... Mais, au même moment, le Redoutable, c’est aussi un certain Godard qui, en compagnie de Truffaut ou bien encore Rohmer, a changé la face du cinéma avec la nouvelle vague.
D’un côté, on a le triomphe mais aussi l’essoufflement de la génération de la deuxième Guerre Mondiale. De l’autre, on a un des pourfendeurs du cinéma de papa. Le temps d’une scène, les deux cohabiteront autour d’un poste de radio. Ainsi va la vie à bord du Redoutable, ainsi vont les paradoxes au temps de la Révolution...
Car le paradoxe, le dilemme impossible qui sous-tend tout le film d’Hazanavicius est justement son rapport à la révolution mais aussi à la contradiction entre une idéologie et la réalité matérielle. Le réalisateur va alors s’amuser à mettre en scène un jeu burlesque et tragique autour de l’idée d’une révolution qui ne sait pas ce qu’elle a révolutionné.
En cela, même si le film est loin d’être un portrait fidèle à l’histoire, il choisit de prendre le dilemme que traverse Godard à cette époque de sa vie pour composer un portrait imaginaire d’un artiste et de son époque. Peu avant 1968, Godard vit une profonde remise en question après l’échec de La Chinoise, ce qui va amorcer pleinement son virage idéologique et un cinéma uniquement politique inspiré par le mouvement Maoïste encore idéalisé. Godard, embrassant ce courant, va alors se radicaliser quitte à créer des paradoxes impossibles à résoudre, devenant un personnage tragi-comique.
Or, dans sa forme, le film doit lui aussi faire face à des paradoxes du fait d’être un biopic mais aussi un portrait fantasmé et complètement esthétisé. Au détour d’un dialogue, Louis Garrel nous dira donc qu’il n’est qu’un acteur jouant Godard, de même que le film s’amuse des films de Godard, justifiant ainsi tout le travail de l’image (noir et blanc, négatif) qui ne fait que mettre en lumière le caractère impossible du cinéma à être un miroir de la réalité mais seulement un point de vue.
Hazanavicius, en grand artisan du détournement, va alors reprendre des codes et des références visuels du réalisateur mais en le ramenant toujours à sa période «dorée» des années 60, celle-là même qu’il cherche à renier à partir de 1968. Que ce soit les regards face caméra, la destruction du quatrième mur, le travail sur le son, les couleurs chatoyantes et pop ou les longs travelling, l’univers de Godard est sans cesse évoqué et invoqué mais dans un but précis. En effet, loin d’être un travail de copie, impeccable au demeurant, tout le film, que ce soit dans sa forme ou son fond, va nous narrer l’histoire d’un mouvement vain, de la révolution d’un astre retournant sans cesse à son point d’origine.
Comme le dit Godard/Garrel dans le film, ce qui l’intéresse dans le mouvement étudiant, c’est le mouvement, pas les étudiants. Hors, ce qui intéresse Hazanavicius, ce n’est pas de faire un cinéma révolutionnaire mais de faire d’une idéologie révolutionnaire sans cesse rattrapée par le banal un geste burlesque. On pense bien sur au running gag des lunettes ou bien encore au retour de Cannes, tous ces éléments qui au final remplace le romantisme de la révolution fantasmé par un récit cocasse mettant en opposition le quotidien et l'idéal, le banal et le romanesque.
Qui plus est, l’idée de révolution permanente énoncée dans le film et son échec final rapprochent Mai 68 de la Nouvelle Vague en cela que, très vite, leur cinéma ne fut plus révolutionnaire mais catalogué et transformé en marque. Dès que les producteurs ont senti le potentiel économique du mouvement lancé par cette jeunesse refusant les codes du cinéma de papa, tous se sont démenés à avoir leur réalisateur jeune estampillé Nouvelle Vague. On voit alors la naïveté d’une époque qui souhaitait la révolution permanente, quand bien même le système Maoïste était en soi une nouvelle doctrine et un nouveau système. Cette aspect est aussi souligné par le dialogue entre Godard et un publicitaire dans une soirée, ce dernier soulignant l'ironie d'un Godard fustigeant la publicité alors qu'il carbure lui même aux slogans chocs et efficaces.
Néanmoins, le film, malgré ses références constantes au cinéma de Godard, reste un film d’Hazanavicius et porte indéniablement la marque de son auteur. Il est donc extrêmement ludique mais aussi d’une facture impeccable, bien loin des comédies "téléfilms" n’ayant aucune ambition esthétique qui sortent régulièrement sur nos pauvres écrans.
En superposant l’écrit, le son et l’image pour créer du sens et des parallèles, le film se permet donc, en plus d'une photographie magnifique, de jouer avec le spectateur. En somme, et c’est une grande force du métrage, pas besoin de connaître les films de Godard sur le bout des doigts pour saisir un humour qui aurait pu devenir vite élitiste et excluant. Hazanavicius ne sacrifie jamais l’intelligence à l’humour tout en caricaturant une époque pour mieux la cerner. On peut même aller plus loin en avançant que le regard comique sur la révolution traverse toute son oeuvre. Pensons donc aux deux OSS 117 qui mettent en scène un mouvement révolutionnaire : les Aigles de Khéops en Égypte mais aussi le mouvement hippie au Brésil en 1967. Dans tous les cas, la révolution devient certes burlesque mais aussi profondément vaine. On se souvient par exemple du mêmes OSS 117 parlant de la France du général De Gaulle comme de l’URSS sans même s’en rendre compte. En somme, dans Le Redoutable, on retrouve encore une fois un rejet de l’idéologie mais surtout la volonté de désacraliser des figures sacrées.
Décidément, que ce soit De Gaulle ou Godard, ces deux-là accumulent les rapprochements ! On a à faire à des personnalités encore relativement intouchables en France. C’est simple : pour être bien vu en politique, il faut dire que l’on admire De Gaulle et, pour être bien vu dans le milieu du cinéma, que l’on admire Godard. Or, c’est un peu l’ironie suprême pour Godard d’être ainsi «déifié», la révolution passant par la destruction des anciennes idoles.
Le Redoutable, c’est donc aussi un peu l’histoire d’un combat perdu d’avance, celui d’incarner une révolution de la jeunesse à 37 ans, le combat du révolutionnaire rattrapé par la révolution. C’est en cela que se niche toute la tragédie sourde du film mais aussi son seul défaut. Même si le comique est parfaitement ciselé, on pourra regretter que la tragédie soit trop esquissée pour vraiment prendre aux tripes. Au final, la légèreté du film est, à bien y réfléchir, porteuse d’un sens bien plus tragique. En témoigne le dernier plan du film qui montre l’échec d’un idéal (SPOILER : un des pionniers de la politique des auteurs est obligé de renier son statut d’auteur au nom de son idéologie) avec une douceur qui rend le film jamais cruel avec ses personnages.
Bien qu’Hazanavicus peigne un portrait caricatural de Godard, le cinéma ne représentant jamais le réel, on sent un amour des personnages qui évite de changer le film en une charge aveugle et inepte. Partant d’une image d’Épinal du réalisateur, Hazanavicius écrit la tragédie de Jean-Luc dans son combat à mort contre Godard et décrit un homme empoté mais passionné, jaloux mais amoureux. Un être complexe ne cherchant qu'à suivre sa philosophie avec le plus de rigueur possible quitte à marcher sur ce qui l'entoure.
Avec Le Redoutable, Hazanavicius signe un grand film mais aussi un grand biopic, parabole de la vie d'un homme mais aussi d'une époque. Portrait lucide sans jamais être cruel, rarement un échec n'aura été filmé de manière aussi bienveillante. Au final, l'utopie révolutionnaire d'une jeunesse n'aura peut-être pas changé le monde mais elle aura au moins stimulé un pays entier dans un mouvement libertaire tout aussi salvateur.
Adrien_Pointel
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le 16 sept. 2017

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